Quel avenir pour la gouvernance du mouvement olympique et sportif international face à une crise de légitimité ?
Par Emmanuel Bayle, Professeur en gestion du sport à l’Université de Lausanne, Membre du Comité Scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté.
Contribution rédigée à l’issue de la présentation effectuée lors du colloque « Enjeux des Jeux » organisé à Montpellier du 12 au 15 décembre 2022.
« Changed or be changed ». Avec cette formule, Thomas Bach avait annoncé, en 2013, la couleur de son mandat à la tête du comité international olympique (CIO) et du mouvement olympique. Pour y répondre deux feuilles de route successives, « Agenda 20+20 » de 40 recommandations pour 2014 à 2021 puis de 15 « Agenda 2020+5 » pour 2021 et 2025, ont incarné la nouvelle stratégie du CIO adossée à trois mots clés « jeunesse, crédibilité et durabilité ». Dix ans après son arrivée au pouvoir, son président a eu aussi à faire face à de nouveaux défis inattendus : le dopage d’Etat en Russie, une organisation des jeux contestée en Russie (2014), au Brésil (2016) et en Chine (2022), la COVID-19, désormais la guerre en Ukraine questionnant aussi le sort des athlètes russes et biélorusses que le CIO souhaite réintégrer aux JO de Paris. Si le CIO n’a jamais semblé aussi puissant, le mouvement olympique et sportif international reste encore attaqué dans sa légitimité à gouverner le sport mondial et à organiser leurs grands évènements pour quatre raisons essentielles :
● Les dérives ou les scandales liés aux grandes compétitions et au sport d’élite (dopage, violences/racisme/hooliganisme, manipulations des compétitions, corruption, mauvais traitements des athlètes…) ;
● La concurrence d’opérateurs commerciaux en dehors du mouvement sportif qui prennent toujours des parts de marché aux fédérations sportives historiques ;
● La capacité à utiliser le potentiel de l’olympisme et du sport comme outil de développement et de réponse à des problèmes de société (éducation, inclusion, santé, durabilité…) ;
● La grande hétérogénéité du mouvement olympique et notamment des comités nationaux olympiques et des fédérations internationales (FI) qui questionne leur capacité à se professionnaliser et à être mieux gouvernés.
Agir sur la gouvernance du mouvement olympique c’est intervenir sur trois niveaux : la gouvernance d’un système de parties prenantes plus nombreuses et revendicatives (ONG, athlètes, ligues professionnelles, réseaux sociaux…), la gouvernance politique (la relation du mouvement sportif avec les acteurs publics qui financent très largement le sport associatif et olympique) et la gouvernance organisationnelle (la manière dont les organisations sportives sont dirigées et contrôlées au niveau interne).
À ces trois niveaux, une gouvernance partenariale/collaborative plus transparente, professionnelle, responsable et solidaire est ou devrait être recherchée par l’ensemble des acteurs du système olympique. Cependant, ce dernier reste difficile à piloter car il n’est pas uniforme. Il dépend aussi du contexte des différents pays du globe et des configurations singulières de régulation de l’écosystème international de chaque sport[1] (Bayle, 2022). Cinq configurations peuvent être caractérisées :
1- Une régulation totale par une fédération internationale. C’est le cas du football et de la FIFA qui maîtrise l’unité des règles mondiales, des compétitions, du classement et du business des compétitions et des clés de redistribution.
2- Une régulation coordonnée par une fédération internationale qui chapeaute les règles, le classement et le circuit international malgré l’appartenance de nombre de ces compétitions à des organisations commerciales. C’est le cas du cyclisme et de l’équitation.
3- Une régulation séparée où deux systèmes différents s’opposent, les modèles américain et européen du sport. C’est le cas du basket et du hockey sur glace.
4- Une régulation dominée par un ou plusieurs acteurs commerciaux. C’est le cas du tennis, du golf et du surf notamment où la fédération internationale est dans une position de faiblesse dans son écosystème.
5- Une régulation totalement privée commerciale, avec l’absence d’une fédération internationale existante ou reconnue. C’est le cas de l’eSport, des arts martiaux mixtes, du trail ou encore du free ride.
Il reste des innovations intéressantes voire étonnantes compte-tenu de la contre-culture olympique historique de certaines pratiques sportives : le rattachement du breaking à la fédération internationale de danse pour assurer sa participation aux Jeux de Paris ; le très récent rachat par la fédération internationale de ski d’une société commerciale, le Free ride World tour, qui annonce une potentielle olympisation du free ride ; ou encore, la prochaine édition de la semaine olympique de l’eSport, qui se tiendra à Singapour en juin 2023. Ces évolutions témoignent, comme pour le surf, l’escalade ou encore le skateboard qui semblent s’enraciner dans le programme des JO, de la volonté du CIO de reconquérir la cible jeune intéressée par ces sports tout en questionnant, en parallèle, le destin olympique d’autres sports olympiques historiques dont la gouvernance internationale est très contestée (haltérophilie et boxe notamment).
Le président du CIO a imposé un peu plus le leadership de l’instance lausannoise grâce à une plus grande transparence de gouvernance, une solidité de son modèle économique, une redistribution financière accrue garante des équilibres politiques du mouvement, une gestion fine des risques mais aussi via une ouverture du programme olympique à de nouvelles disciplines. Il demeure aussi à questionner l’impact sociétal que revendique le CIO au moins dans trois domaines clés : la durabilité, les modèles de redistribution de l’argent généré par les grandes compétitions pour développer le sport, les impacts et l’héritage des grands évènements.
Dans ce contexte d’innovations mais aussi d’incertitude, trois scénarios peuvent être imaginés pour l’avenir du mouvement olympique et sportif international : le statu quo, la sanctuarisation ou l’éclatement.
● Le statu quo serait la poursuite des rapports de force permanents avec les acteurs publics et commerciaux mais aussi avec les opinions publiques auquel le mouvement sportif doit faire face. Cela passe par des réponses en matière de confrontation/évitement, de négociation et de lobbying et de jeux d’alliances et de partenariats. Cela exige de s’adapter via des micro-innovations et à continuer à s’auto-réformer au gré des crises pour refonder un compromis acceptable afin de protéger sa légitimité à gouverner le sport.
● La sanctuarisation serait le renforcement de la protection à la fois juridique et politique par les instances publiques (l’ONU, l’UE et les États), au nom de la spécificité de fonctionnement et du bien commun que le sport organisé et les grandes compétitions internationales représentent. Cette protection juridico-politique se ferait en contrepartie d’un alignement plus clair sur une meilleure gouvernance, le rôle éducatif et inclusif du sport, la défense des droits humains. Elle pourrait passer aussi par une demande de co-régulation mondiale (publique et mouvement sportif) des dérives du sport, sur le modèle de l’agence mondiale anti-dopage. Elle pourrait aussi amener à repenser les modèles d’organisation des méga évènements sportifs sur un mode moins coûteux, plus responsable et durable. La récente annonce faite par l’avocat général de la Cour de justice européenne au sujet du conflit UEFA/Super ligue privée de football semble conforter un tel scénario.
● L’éclatement s’expliquerait par l’incapacité des acteurs historiques du mouvement sportif à innover, à réguler les dérives et à endiguer à la fois de nouvelles compétitions portées par de nouveaux acteurs géopolitique, éloignés des valeurs occidentales et humanistes prônées par le CIO, mais aussi par l’arrivée de nouveaux acteurs commerciaux très puissants. Ces derniers, notamment les géants américains du web (« GAFAM[2]» et « NATU[3] ») mais aussi chinois (« BATX[4] »), pourraient s’engager dans une transformation fondamentale du sport par l’intelligence artificielle et la disruption numérique portées notamment par les promesses du métavers.
[1] Bayle E. (2022), Les cinq configurations de régulation du sport mondial, Jurisport Dalloz, n. 222, 38-42.
[2] NDLR : acronyme désignant les entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft
[3] NDLR : acronyme désignant les plateformes Netflix, Airbnb, Tesla et Uber
[4] NDLR : sigle formé sur le modèle des GAFAM et désignant les quatre plus grandes entreprises technologiques de Chine Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi
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