L’Olympisme peut-il réellement contribuer à la pacification du monde ?
Par Colin MIEGE, président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté
A l’heure où les tensions s’accroissent dangereusement au plan international, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on peut s’interroger sur la contribution du mouvement sportif et de l’Olympisme à la pacification du monde. La question est légitime, car dès l’origine la Charte olympique a affiché une ambition universelle dans ce domaine, en affirmant que «le but du Mouvement olympique est de contribuer à la construction d’un monde meilleur et pacifique (…) »[1]. On peut constater aussitôt que ce noble idéal s’est heurté dans le passé à bien des vicissitudes, comme l’illustre tragiquement le XXème siècle, qui a été traversé par deux guerres mondiales, mais aussi marqué par une instrumentalisation sans précédent du sport au sein des régimes totalitaires, singulièrement dans l’Allemagne nazie et en Union soviétique. A cet égard, l’une des faiblesses du mouvement Olympique résulte du principe de neutralité politique inclus dans sa Charte[2], qui impose aux organisations sportives de préserver leur autonomie et de se libérer de « toutes influences extérieures », mais qui lui interdit aussi d’interférer dans les affaires des Etats. Ce principe a été appliqué avec souplesse, et n’a pas entravé des réalisation significatives dans le domaine de la diplomatie sportive, la plus souvent citée étant la « diplomatie du ping-pong », lors du rapprochement historique des Etats Unis et de la Chine dans les années 1970.
Beaucoup plus récemment, le principe de neutralité politique n’a heureusement pas empêché le CIO de condamner fermement l’agression russe en Ukraine, mais aussi de préconiser un bannissement des athlètes russes et biélorusse des compétitions sportives internationales. Dénoncée par certains comme une atteinte aux droits des sportifs, cette sanction est en réalité parfaitement justifiée, si l’on considère que la Russie de Poutine n’a cessé de manifester l’importance symbolique que revêt pour ce régime autocratique une présence sur la scène sportive internationale. En concevant le sport comme un facteur essentiel de prestige international, le régime investit de facto ses athlètes d’une mission de promotion, dont l’enjeu les dépassent largement et qu’ils doivent assumer même à leur corps défendant.
Plus globalement, se pose aussi la question du respect des droits de l’homme. Bien que le baron de Coubertin n’ait pas laissé l’image un indéfectible démocrate, la Charte olympique comporte de multiples références à ces droits, et affirme que la jouissance des droits et libertés qu’elle reconnaît « doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »[3]. Ces dispositions ont été reprises et confirmées avec force dans la Charte européenne du sport[4].
Or force est de reconnaître que ces droits ne sont guère respectés dans de nombreux pays, à commencer par la Russie et par la Chine, qui confirment de plus en plus leur opposition à un Occident (Etats Unis et Europe principalement) dont ils ne partagent ni les valeurs essentielles, ni le mode de gouvernance. Dans cette logique, l’Olympisme et les valeurs qui l’animent correspondraient à une vision occidentale dépassé, contestable par principe à leurs yeux. Il en résulte une remise en cause plus ou moins avouée de l’Olympisme et de ses principes universels. Plus précisément, la Russie et la Chine souhaitent toujours participer aux jeux Olympiques pour tenter de briller aux yeux du monde, et bénéficier que leur exposition médiatique incomparable, tout en se démarquant de plus en plus nettement des valeurs sur lesquelles repose l’Olympisme. L’exclusion des athlètes russes des compétions internationales, d’abord pour cause de dopage soutenu par l’État, puis du fait du déclenchement de l’offensive contre l’Ukraine, a eu pour effet de révéler l’incompatibilité du régime dictatorial de Poutine avec les valeurs « universelles » de l’Olympisme. D’où la tentation russe d’organiser un système de compétions sportives internationales en marge du mouvement olympique, qui pourrait aussi inspirer la Chine et d’autres pays soucieux de se démarquer de l’Occident, si ce n’est de le contester.
Face à ces tensions croissantes, le mouvement Olympique semble placé devant un dilemme existentiel : réaffirmer ses valeurs fondamentales et sanctionner ceux qui les bafouent, au risque d’un éclatement à terme, ou bien maintenir à tout prix une unité de façade en fermant les yeux sur les atteintes aux droits et devoirs reconnus dans sa Charte. Sans pessimisme excessif, on doit admettre que tout comme les droits humains, l’universalité de la Charte Olympique n’est de fait plus une réalité pour bon nombre de pays. Pacifier le monde parait aujourd’hui une tâche bien ardue face à des régimes qui assument sans état d’âme – au prétexte de leur spécificité culturelle – une remise en cause de droits considérés historiquement comme fondamentaux.
[1] Cf. Charte olympique, point 1, Composition et organisation générale du mouvement olympique : « Le but du Mouvement olympique est de contribuer à la construction d’un monde meilleur et pacifique en éduquant la jeunesse par le biais d’une pratique sportive en accord avec l’Olympisme et ses valeurs ». En outre, les principes fondamentaux de l’olympisme édictent que : « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » (point 2).
[2]Principes fondamentaux, point 5.
[3]Principes fondamentaux, point 6.
[4]Charte européenne du sport rénovée en octobre 2021, et notamment l’art. 6. A noter que depuis l’agression de l’Ukraine, la Russie n’est plus membre du Conseil de l’Europe.