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Renforcer l’intégrité organisationnelle du sport

Alors que les défaillances des fédérations sportives nationales et internationales sont régulièrement pointées du doigt, il convient de renforcer l’intégrité des organisations sportives en agissant pour une meilleure gouvernance et une plus grande transparence dans le fonctionnement de ses institutions. Un article de Colin MIEGE, président du comité scientifique, Think tank Sport et Citoyenneté.


Tant au niveau national qu’international, les organisations sportives sont marquées par les initiatives privées qui ont présidé à leur émergence. Pierre de Coubertin a ainsi défini les principes fondamentaux d’autonomie du mouvement sportif et de son indépendance à l’égard des pressions susceptibles d’être exercées par les États. Le bien-fondé de cette prise de distance à l’égard du politique a prouvé sa justification dans les innombrables tentatives étatiques d’instrumentalisation du sport et de sa soumission à des visées idéologiques qui ont émaillé le XXème siècle. Et dans le contexte actuel de montée des tensions géopolitiques, on peut relever la persistance d’une mainmise de certains régimes non démocratiques sur les organisations sportives et sur les athlètes nationaux.

Pour nécessaire qu’il soit, le principe d’autonomie qui structure le mouvement sportif depuis l’origine ne saurait servir de prétexte à justifier d’une gouvernance et de pratiques qui dérogent aux standards d’intégrité, d’éthique et de transparence prévalant aujourd’hui dans le monde occidental. En exprimant une préoccupation de plus en plus nette sur les dérives qui pouvaient être observées au sein de certaines organisations sportives internationales, et notamment dans le football, le Conseil de l’Europe a défendu cette position avec une remarquable constance depuis les années 1970. C’est ainsi qu’en 2018 se sont succédé une résolution de l’Assemblée parlementaire « Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne », puis une Recommandation sur la promotion de la bonne gouvernance dans le sport. Le texte de l’Assemblée parlementaire dénonce en termes particulièrement vigoureux « le manque de transparence et de responsabilité dans les grandes instances dirigeantes du sport » et des « dysfonctionnements systémiques, qui requièrent une refonte majeure des structures et des pratiques de la gouvernance sportive ». Elle soutient notamment que « toute autonomie entraîne une responsabilité et ne devrait être octroyée que si une bonne gouvernance dans la pratique est avérée ». Elle estime dès lors « que l’on ne peut pas laisser le mouvement du sport remédier seul à ses défaillances. Il doit accepter d’impliquer de nouveaux acteurs pour adopter les réformes nécessaires ». Rarement une telle défiance aura été exprimée aussi ouvertement par une instance internationale… Cette prise de position a pu influer sur la formulation de la Charte européenne du sport révisée, adoptée en octobre 2021, dont l’article 8 dédié à l’intégrité du sport dispose que sa sauvegarde implique de « promouvoir une gouvernance du sport qui soit conforme aux principes de transparence, d’intégrité, de démocratie, de développement et de solidarité, qui devraient être garantis par des mécanismes de contrôle et d’équilibre des pouvoirs ».

Vers une norme de certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives ?

La préoccupation demeure donc, alors même qu’il existe pléthore de chartes de déontologie, de codes d’éthique et autres documents prescriptifs en tout genre qui s’avèrent en réalité insuffisants à endiguer les lacunes de gouvernance voire les déviances observées de façon récurrente.
La question est donc bien celle des mécanismes de contrôle et de l’équilibre des pouvoirs à instaurer. Faut-il suivre l’Assemblée du Conseil de l’Europe, qui préconise d’élaborer une norme de certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives ? Elle estime aussi opportun d’élaborer, en se fondant sur les mêmes critères harmonisés de gouvernance, une convention relative à la bonne gouvernance dans le sport. Quant à l’équilibre des pouvoirs, nombreux sont ceux qui estiment, comme l’ancienne ministre des sports en France, Marie-George Buffet, que « le mouvement sportif est fragilisé parce que règne en son sein un entre-soi, une culture qui fait qu’il a du mal à se saisir des exigences sociétales, sociales, éthiques de notre époque ». Vérifié aussi au plan international, ce constat soulève des doutes sur la capacité du mouvement sportif à accepter la création d’un organisme extérieur chargé d’un tel contrôle. Quelle serait l’instance supranationale revêtue de la légitimité indispensable pour superviser cette tâche ? Quelles seraient les sanctions en cas de manquement avéré ? Le CIO, qui assume en partie ce rôle, serait-il disposé à partager ses compétences avec un tel organisme ? Au demeurant, on notera que la Cour de justice de l’Union européenne, en déclarant incompatibles avec le droit de l’Union certaines pratiques restrictives au sein des fédérations internationales, notamment des pratiques anti-concurrentielles, a mis fin à quelques abus, et joué peut-être involontairement le rôle de régulateur du mouvement sportif, au moins sur le plan économique.

À l’origine, le sport pratiqué par une minorité de privilégiés pouvait relever de la sphère privée sans trop d’incohérence. Mais son expansion mondiale et sa généralisation à l’ensemble de la société, tout comme les objectifs d’intérêt public et d’utilité sociale qui lui sont assignés en ont fait un bien commun qui demande à être géré de façon exemplaire, dans le respect des valeurs qui fondent le modèle européen du sport. Cette tâche complexe incombe autant au mouvement sportif lui-même qu’aux États et au pouvoir politique porteurs de l’intérêt général.

 


Cet article a été publié dans la revue Sport et Citoyenneté n°57 : Protéger l’intégrité du sport

 



Sport et citoyenneté