Quand te reverrais-je pays enneigé ?
Par Alice Buensoz, chargée d’études, Think tank Sport et Citoyenneté
La saison d’hiver bat son plein dans les sommets français : vacances scolaires de février pour les 3 zones dès ce soir et en parallèle un évènement majeur : les Championnats du Monde de Ski dans les stations de Méribel et Courchevel en Savoie. Pourtant, la situation des montagnes n’a jamais été aussi préoccupante comme en témoigne le récent courrier « Notre Sport est en danger » rédigée par l’organisation Protect Our Winter et signé par plus de 130 skieurs et skieuses interpellant la Fédération Internationale de Ski sur les questions environnementales.
L’exploitation des montagnes au fort impact environnemental
Comme toute activité humaine, les sports d’hiver et l’économie qu’ils génèrent sont d’importantes sources de consommation, particulièrement en énergie et en eau : remontées mécaniques, lacs artificiels, constructions de parcs immobiliers… Le développement de l’offre de loisirs en marge de la pratique du ski représente un pôle de consommation important et parfois en déconnexion avec l’environnement montagnard : piscines, centres commerciaux ou encore altiport… L’augmentation du tourisme d’hiver peut causer une surcharge des ressources naturelles locales, et fortement impacter la faune et la flore. Les phénomènes observés sont directement liés au dérèglement climatique : neige tardive et printemps précoce, pas de couverture neigeuse suffisante. Cela entraîne des conséquences irréversibles sur les écosystèmes de montagne et accélère le réchauffement de la planète.
Un phénomène qui interpelle depuis plusieurs dizaines d’années…
On pourrait penser que la prise de conscience de l’impact environnemental des grands évènements sportifs d’hiver est un phénomène plutôt récent. Pourtant, l’histoire nous rappelle que ce sujet interpelle depuis des dizaines d’années. En témoigne l’exemple de la ville de Denver qui renonça d’accueillir les Jeux d’hiver de 1976 pourtant accordés par le CIO quelques années plus tôt. Les coûts prévus pour la construction de nouvelles infrastructures prévoient de dépasser les estimations. En parallèle la ville de Montréal qui préparait l’accueil de l’édition estivale la même année augmentait les taxes locales pour financer les Jeux. Le comité d’organisation fait alors face à une première vague de contestation. Par ailleurs, plusieurs groupes de citoyens tels que Protect Our Mountain Environment (traduisez : Protégeons notre Environnement Montagnard) se constituent pour militer contre l’organisation de certaines épreuves sur les contreforts des Rocheuses. Les pétitions initiées par les groupements citoyens aboutissent à l’organisation d’un référendum pour voter l’emprunt de 5 millions de dollars pour financer les Jeux. C’est le « NON » qui est majoritairement ressorti des urnes, remettant ainsi en question le financement de l’évènement. Finalement, les Jeux Olympiques et Paralympiques de 1976 seront réattribués à Innsbruck en Autriche qui avait déjà accueilli cet évènement 12 ans plus tôt.
… mais toujours aux cœur des débats
Si le cas de Denver peut paraître anecdotique et largement influencé par un facteur économique, c’est une des premières fois dans l’histoire des Jeux que des considérations environnementales animent autant le débat. Aujourd’hui ces questions sont au cœur des préoccupations politiques et citoyennes. Récemment, l’attribution des Jeux d’Hiver Asiatiques en Arabie Saoudite en 2029, défie toutes les limites déjà franchies en matière de coût environnemental. Plus près de chez nous, la station du Grand Bornand met en place le transport de neige de culture à l’occasion de la coupe du monde de biathlon 2022, et son cas n’est pas isolé. Aujourd’hui, les stations réalisent des investissements financiers d’aménagement afin de pallier les conséquences du dérèglement climatique (comme la neige de culture par exemple). Le but étant de conserver la même qualité de loisirs pour le même nombre de touristes. Cela est pourtant incompatible avec un mode de consommation sobre et préservant la planète, d’autant plus que les effets ne seront utiles qu’à court termes et qu’ils participent eux-mêmes à la détérioration des écosystèmes montagnards. Il ne s’agit pas seulement de trouver des solutions au manque de neige mais bien de questionner la place que nous accordons aux loisirs et aux divertissements dans notre société, et quel prix nous sommes prêts à payer.
Il est aujourd’hui nécessaire de remettre en question la taille et l’ampleur des compétitions sportives, et plus largement du tourisme dans les milieux montagnards. Une transition vers une pratique plus verte aura un impact indéniable sur l’économie des sports d’hiver (8 à 9 milliards d’euros de retombées) et les emplois liés. Des alternatives peuvent permettre à court terme de limiter les impacts locaux : répartition des épreuves sur plusieurs sites, ou limitation du nombre de touristes dans une station à la journée, à l’image de ce qui peut être fait dans d’autres espaces naturels protégés. La transition doit être graduelle et adapté à chaque contexte de station pour permettre à chacun de profiter de la montagne tout en la préservant.
Sources
https://bonpote.com/le-sport-de-haut-niveau-est-il-un-non-sens-ecologique/?fbclid=IwAR3Bd0HHU-Fb26lh2Vt8xmxAtV9fLwh7p-mNieGO6kUNIeZJXx09z6JGFYU
https://bonpote.com/bon-pote-4-loic-le-ski-est-il-ecologique/
https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/vacances-loisirs/hiver/sports-dhiver-comment-moins-polluer
Pour aller plus loin:
La mer, ce terrain de jeux à protéger, par Sylvain Landa, directeur éditorial du Think tank Sport et Citoyenneté
La transition récréative des pratiques sportives, Par Jean Corneloup, Maître de conférences en sociologie, Président de sportsnature.org, Rédacteur en chef de la revue Nature & Recréation, membre du comité scientifique Sport et Citoyenneté
Notre revue n°53 Sport et Objectifs de développement durable