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La coupe est pleine

par Jean-Loup Chappelet, Université de Lausanne, IDHEAP, Membre du Comité Scientifique Sport et Citoyenneté

 

La Coupe du monde masculine de football commence ce dimanche au Qatar. Au-delà des problématiques fondamentales qu’elle pose en terme de durabilité environnementale et de droits humains et des travailleurs, elle soulève à nouveau la question du pourquoi organiser de grands évènements sportifs risqués et chers si, en plus, le territoire hôte se fait vilipender par l’opinion publique notamment quand ces évènements ont lieu dans des régimes autocratiques.

 

Football World Cup

 

Certes on dit qu’un mauvais buzz vaut mieux que pas de buzz du tout, mais il semble là que l’ampleur des critiques (d’équipes participantes ou non, de villes refusant d’installer des fan zones et de divers médias) soient telles que la FIFA appelle à se concentrer sur le football et que l’émir du Qatar s’en plaigne avec l’aide de réseaux sociaux rémunérés en proclamant que le Moyen-Orient doit aussi avoir le droit d’organiser de grands évènements (quoi qu’il en coûte). Il faut dire que ce pays (à peine plus grand que la Corse) a poursuivi depuis plus de vingt ans une politique d’accueil systématique de grands événements sportifs à coup de millions et à la grande joie des fédérations qui avaient de la peine à trouver des hôtes pour leurs championnats. Ainsi, le Qatar a accueilli de très nombreux championnats du monde : triathlon (2006), volleyball (2011), squash (2012), natation (2014), handball (2015), escrime (2017), gymnastique (2018), athlétisme (2019), etc. ainsi que les Jeux asiatiques (2006 et bientôt 2030). La Coupe du monde 2022 – attribuée il y a douze ans – vient couronner cette série inégalée à laquelle manque juste les Jeux olympiques d’été (malgré deux tentatives).

Cette politique est depuis peu copiée par l’Arabie saoudite qui doit accueillir des Jeux asiatiques 2034 et les Jeux asiatiques d’hiver (!) 2029. Mais elle a été suivie depuis longtemps par de nombreuses villes (comme Lausanne), régions (le Tyrol) ou pays (le Danemark), même si ces politiques se sont de plus en plus orientées ces dernières années vers des manifestations sportives plus raisonnables qui utilisent des installations existantes comme le prône d’ailleurs le CIO pour les Jeux olympiques. Elles favorisent aussi désormais les évènements récurrents qui reviennent chaque année dans un territoire, qui construisent un savoir-faire local et qui peuvent progressivement devenir patrimoniaux (comme le marathon du Médoc près de Bordeaux ou le Masters de tennis de Paris-Bercy).

Les évènements sportifs devront devenir plus durables, c’est-à-dire atteindre des bénéfices économiques et sociaux tout en réduisant leur empreinte environnementale. On sait très bien que l’essentiel de l’impact environnemental d’un évènement est dû aux déplacements des participants et spectateurs qui souvent viennent de loin (et en avion faute d’autres possibilités, cf. la COP27). Du point de vue environnemental, le meilleur évènement serait donc celui qui n’existe pas ! Pour continuer à se rencontrer autour d’évènements, il faut donc limiter ou compenser au maximum les impacts dus aux transports, déchets, énergies, etc. et aussi soigner les bénéfices économiques et sociaux pour le plus grand nombre de résidents du territoire hôte et non pour seulement quelques « gagnants » comme les milieux du tourisme. Il faut notamment favoriser les impacts sociaux comme le volontariat et d’autres héritages immatériels. C’est à cette aune que seront jugés et acceptés les évènements sportifs du futur.

La magie du football opérera-t-elle encore une fois durant le mois qui vient ? Fera-t-elle oublier les aberrations économiques, sociales et environnementales de cette coupe 2022 ? Il est permis d’en douter. Elle pourrait au contraire marquer un tournant salutaire dans la réflexion nécessaire des organisations sportives privées et des politiques publiques d’accueil d’évènements.



Sport et citoyenneté