INSCRIPTIONL’affaire Rubiales : symptôme des violences sexistes et sexuelles dans le sport et symbole du changement ?
Par Eva Jacomet, chargée de projets du Think tank Sport et Citoyenneté
20 août 2023 : l’Espagne s’impose face à l’Angleterre en finale de la Coupe du monde féminine de football, devant un nombre de téléspectateurs record et au terme d’un tournoi qui semble marquer un tournant pour la médiatisation du football au féminin. La lumière portée sur ce match prend vite fin, injustement supplantée par le baiser forcé de Luis Rubiales, président de la Fédération royale espagnole de football, à l’encontre de Jenni Hermoso, joueuse emblématique de la sélection espagnole, lors de la cérémonie de remise du trophée.
L’image marque, tant elle est le symbole frappant d’un sexisme toujours prégnant dans le milieu sportif. L’affaire alimente depuis les rubriques des journaux espagnols et européens, suscitant de nombreuses réactions dans le secteur sportif comme en dehors. Elle débouche, trois semaines plus tard, sur la démission d’un Luis Rubiales acculé de toute part.
L’héritage de cette Coupe du Monde aurait pu être tout autre. À défaut, elle peut être un évènement contribuant à la réflexion et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, alors que l’affaire Rubiales ne représente qu’un cas parmi tant d’autres dans le milieu sportif.
L’affaire Rubiales :
vers la fin d’un football déconnecté de la société ?
Il aura donc fallu attendre le 10 septembre pour que Luis Rubiales présente sa démission, non sans avoir dénoncé à maintes reprises ce qu’il considérait être une cabale contre lui. Au cours de ces trois semaines, il s’est défendu à plusieurs reprises, arguant qu’il s’agissait d’un baiser « consenti », appuyé par sa Fédération, qui publiera même sur ses réseaux sociaux des photos de l’agression afin de démontrer ce consentement. Luis Rubiales fait fi des mises en garde de la FIFA, du gouvernement espagnol ou d’un communiqué signé par les 23 championnes du monde annonçant leur départ de la sélection. Il maintient sa position, refuse de démissionner et multiplie les déclarations lunaires à l’occasion de l’Assemblée générale extraordinaire de la Fédération le 25 août dernier, où il est applaudi par les membres de la Fédération : « Que vont penser les femmes qui ont été agressées sexuellement ? Que va penser une femme qui a été forcée et agressée sexuellement ? ».
Par-delà le grotesque de ses déclarations, Luis Rubiales devient le visage d’un milieu footballistique demeurant à la marge des lois et évolutions sociétales en matière d’égalité de genre.
Dans les colonnes de RFI, la chercheuse Sandy Montañola, maîtresse de conférences à l’université de Rennes 1, spécialisée dans le sport, tente d’analyser cette réaction : « La réaction, c’est toujours de minimiser la portée du geste, c’est essayer de le normaliser à la fin. C’est-à-dire faire d’une part comme si le milieu sportif était un milieu à part ; un milieu récréatif – avec la victoire et l’ambiance qu’il peut y avoir – comme si tout cela pouvait venir justifier ce comportement. L’autre réaction est de se dire victime soit du féminisme, soit d’adversaires qui en voudraient à la position qu’on occupe. Il faut quand même rappeler que le sport, ça reste un milieu professionnel comme les autres, donc avec des règles. »[1]
Si l’Espagne est devenue depuis une vingtaine d’années un pays pionnier en Europe, en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le sport et le football espagnol semblent avoir demeurés jusqu’ici en dehors de cette réalité. Si l’affaire Rubiales amorce en Espagne un changement dans le secteur sportif et fait évoluer ce statut d’exempté, difficile pour le moment d’en conclure qu’elle augure des changements au niveau européen ou mondial tant le traitement et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles restent une affaire politique dépendante des contextes nationaux.
Les violences sexistes et sexuelles :
maladie chronique du football et du monde sportif
L’affaire Rubiales n’est pas le seul cas de violences sexistes ou sexuelles à avoir émaillé la Coupe du monde en Australie. Moins médiatisé est le cas de l’entraîneur principal de la Zambie, Bruce Mwape, qui a pu officier cet été malgré des accusations d’abus et attouchements sexuels sur ses joueuses et une enquête en cours de la FIFA le concernant[2]. Les cas de dénonciation d’agressions sexuelles dans le football féminin se multiplient ces dernières années : en 2021, une vingtaine de joueuses internationales vénézuéliennes signent une tribune dénonçant les agressions sexuelles commises par l’ancien sélectionneur Kenneth Zseremeta[3] ; cas similaire à celui dénoncé par des joueuses colombiennes en 2019 contre l’ancien sélectionneur Didier Luna[4]. Parmi d’autres, on pourra également citer les dénonciations répétées de joueuses de la Ligue professionnelle américaine de soccer à l’égard notamment du coach Paul Riley[5].
En France, une commission d’enquête parlementaire relative à l’identification « des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif » a été mise en place en juillet 2023. La question des violences sexuelles commises par des entraîneurs y figure en bonne place. Les témoignages édifiants de Sarah Abitbol, Angélique Cauchy, Emma Oudiou et Claire Palou se sont succédé, tous soulignant l’omerta opérant au sein des fédérations sportives, où prime encore trop souvent la course aux médailles et aux titres, au détriment de la protection et de la santé des athlètes.
Pour une réforme en profondeur du système sportif en matière de prévention et condamnation des violences sexuelles
Le fait d’entendre résonner dans les médias comme dans les instances sportives et institutionnelles autant de témoignages de victimes d’abus et d’agressions sexuelles dans le sport est un énorme pas de franchi. Tout comme l’indignation que ces témoignages suscitent et le soutien qui leur est apporté.
Cette libération de la parole doit cependant être accompagnée par un engagement fort et conjoint des pouvoirs publics et des organisations sportives dans la lutte et la prévention de ces violences. Lors d’une récente publication, nous évoquions plusieurs pistes d’action en la matière :
- Accélérer et généraliser la mise en œuvre des politiques claires de prévention et de réponse aux violences sexuelles, incluant des procédures de signalement confidentielles et des mécanismes de soutien aux victimes.
- Former les encadrants et dirigeants sportifs à la prévention des violences sexuelles, y compris la sensibilisation aux signes précurseurs et aux procédures de signalement.
- Renforcer la prévention et la sensibilisation de la communauté sportive, y compris des enfants.
- Créer une instance nationale indépendante chargée du traitement et du suivi des cas de violences sexuelles constatées dans le domaine du sport.
- Adopter ou renforcer la procédure de contrôle d’honorabilité des éducateurs professionnels ou bénévoles, ainsi que les sanctions à l’encontre des dirigeants qui n’agiraient pas, comme le suggère la récente proposition de loi adoptée par le Sénat français.
L’affaire Rubiales et la mobilisation qu’elle a suscitée laisse entrevoir une nouvelle manière de traiter ces violences dans le milieu sportif. Celle d’une voix qui s’élève contre ce type de violences et qui rassemble. Celle d’une fin de l’impunité. Alexia Putellas, Ballon d’or et Championne du monde espagnole, déclarait devant le Parlement catalan ce 13 septembre que « nous ne nous arrêterons pas là. Nous sommes là pour rester, pour aider celles qui viendront après nous ». Aux instances sportives et aux pouvoirs publics d’accompagner ce mouvement.
[1] Espagne: le baiser forcé de Rubiales à la joueuse Jenni Hermoso s’inscrit «dans un rapport de domination» (rfi.fr)
[2] https://www.theguardian.com/football/2023/jul/08/zambia-womens-football-team-sexual-misconduct-bruce-mwape
[3]https://www.ouest-france.fr/sport/football/football-des-venezueliennes-denoncent-a-leur-tour-des-abus-sexuels-de-leur-ancien-selectionneur-6cbce352-2664-11ec-8dc7-65fb792c4248
[4] El escándalo que sacude el fútbol femenino en Colombia: abuso sexual, maltrato y desigualdad – BBC News Mundo
[5] https://www.theguardian.com/football/2021/oct/09/nwsl-scandal-fear-culture-silence-paul-riley
Sport et Citoyenneté organise une conférence sur ce sujet le vendredi 22 septempbre 2023 prochain en Espagne :
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