Mettre le sport au cœur de la société de compétences
Marie-Cécile Naves, Directrice des études, Think tank Sport et Citoyenneté
L’évolution des métiers et du monde du travail due aux progrès du numérique, de même que celle de la place des loisirs dans notre quotidien invitent à repenser le rôle que le sport peut jouer en matière d’éducation, de formation tout au long de la vie, et d’acquisition et de reconnaissance des compétences.
Sport, Innovations et Apprentissages
De manière structurelle, le champ économique est aujourd’hui confronté à des bouleversements d’ampleur inédite du fait, notamment, de la place croissante prise par le numérique, les données personnelles ou encore l’intelligence artificielle. L’éducation et la formation, par la force des choses, et sans qu’elles l’aient véritablement anticipé, en subissent directement les conséquences. On ne peut plus apprendre aujourd’hui comme on le faisait il y a 20 ans, a fortiori il y a 50 ans. La pléthore d’informations disponibles, qu’il faut savoir hiérarchiser, sourcer et s’approprier, nécessite de disposer non seulement d’une autonomie dans notre rapport à la connaissance, mais aussi de capacités de coopération nouvelles avec les autres – apprenants, collègues, amis, famille, etc.
Mais si la créativité, l’empathie, l’intelligence émotionnelle, le sens de l’initiative, la confiance en soi et en l’autre, la gestion du stress ou encore la curiosité et l’ouverture d’esprit peuvent certes constituer des « plus » dans un entretien d’embauche ou une promotion interne, ils ne donnent, pour l’heure, pas lieu à un diplôme de formation initiale, lequel constitue encore le graal de tout salarié français. Il s’agit là cependant de véritables savoir-faire, qui ne sont bien sûr pas innés, qui s’acquièrent, mais qui ne sont que peu valorisés de manière formelle à l’école, dans l’enseignement supérieur et dans la sphère professionnelle.
Nous doter de nouveaux savoir-faire
Or les métiers se transforment à une vitesse que nous continuons de sous-estimer. A moyen, voire à court terme, l’intelligence artificielle aura soit remplacé un grand nombre d’entre eux, soit impliqué que de nouvelles compétences, qualifiées de « douces » (« soft ») ou d’« intelligentes » (« smart »), prennent le pas sur des compétences purement techniques. Et cela ne se limite pas aux métiers dits manuels : ce sont les médecins, les avocats, les notaires, les enseignants et formateurs, les commerçants qui peuvent potentiellement être, tout ou partie, remplacés par des machines. Celles-ci sont déjà capables de traiter et de restituer un très grand nombre de données à une vitesse que nous, être humains, ne pouvons concurrencer.
C’est pourquoi il nous faut être davantage capables de nous doter de nouveaux savoir-faire, mais aussi de prendre, et de faire prendre, conscience que nous les possédons. Il importe donc que les employeurs et les recruteurs, publics et privés, les reconnaissent et les valorisent tout au long de notre carrière. Pour ce faire, il est vain et dangereux de compter sur la seule responsabilité individuelle. Les inégalités ne pourraient que se creuser et laisser sur le bord du chemin nombre d’individus, ce qui occasionnerait un coût économique, social et humain dommageable pour la collectivité et insupportable en démocratie.
Faire de la science un outil d’aide à la décision
Des dispositifs pour accompagner chacune et chacun, tout au long d’un parcours de formation, d’un parcours de vie, doivent être développés et prendre la forme d’un « service public de la société apprenante ». Ils seront innovants dans la mesure où ils seront participatifs et qu’ils feront appel aux apports de la recherche interdisciplinaire. Des « labs des métiers de demain », ouverts sur la cité, s’inspirant de l’art, du sport, de la science, soucieux d’expérimentation et destinés à tous et à tous les âges, pourraient se multiplier sur le territoire. Cette forme particulière de tiers-lieux de la société apprenante, qui existe déjà, aurait pour vocation de décloisonner les savoirs, parce que nous avons tous à apprendre des autres.
Le sport mérite une attention particulière. Celles et ceux qui pratiquent une activité physique et sportive régulière ont beaucoup à transmettre aux personnes sédentaires sur leur motivations et leurs difficultés : hygiène de vie, santé et bien-être, souci de soi, gestion du temps personnel, techniques d’entraînement, respect et entretien du capital corporel sont autant de savoir-faire acquis dont d’autres peuvent profiter. De son côté, le bénévolat sportif, qui est le deuxième en Europe si l’on dénombre les individus impliqués, permet d’acquérir et de consolider des compétences budgétaires, d’organisation, de communication, de relations publiques, de gestion d’équipe qui méritent d’être valorisées pour être transférées dans le cadre d’une formation, d’un retour à l’emploi ou de l’exercice d’une profession.
L’organisation, en France et en Europe, de grands événements sportifs internationaux (GESI) fournit une occasion unique de poser la question globale de l’héritage social et sociétal de ces compétitions, non seulement en amont de ces dernières, mais en aval sur le très long terme. Ces événements permettent de « voir le sport au-delà du sport ». Pour le politique, mettre le sport, sujet transpartisan et transversal s’il en est, sur l’agenda est un moyen de rompre avec l’action publique en silos. C’est primordial dans le champ de l’éducation et de la formation.
Pour articuler, dans le sport et grâce au sport, objectifs de redistribution et objectifs de reconnaissance, il faut en assouplir et en renforcer la gouvernance et utiliser les résultats de la recherche universitaire pour contribuer à faire de la science un outil d’aide à la décision. Nous ne sommes pas égaux face à la formation initiale et continue, à l’accès au savoir, à l’adaptation nécessaire aux évolutions technologiques et économiques. Le sport s’avère un terreau de réflexion et d’inspiration particulièrement fertile dans lequel le chercheur, le décideur et le pratiquant peuvent puiser collectivement. Si un tel volontarisme existe, les politiques publiques peuvent agir pour que le sport soit un levier de changement social vertueux, au service de l’émancipation et de la solidarité. Il s’agit donc, aussi, d’un projet citoyen.