Le bénévolat sportif : un fort levier d’inclusion sociale pour les personnes réfugiées
Interview avec l’association italienne Liberi Nantes
Par Sophie Lopez, chargée de projets européens, Think tank Sport et Citoyenneté
Nous rappelions en décembre dernier les défis rencontrés par le bénévolat sportif en France. Dans le même temps, seulement un Européen sur dix seulement (10%) affirmait être actuellement engagé dans un travail bénévole en faveur d’une activité sportive[1]. Pourtant, sport et bénévolat sont indissociables. Le sport, et particulièrement le sport amateur repose en grande partie sur le bénévolat. Comment alors faire face à cette « crise » du bénévolat sportif ?
En parallèle, les sociétés européennes sont toujours confrontées aux arrivées de demandeurs d’asile sur leurs territoires. Le nouveau pacte sur la migration et l’asile étant principalement un texte sécuritaire, les initiatives pour inclure socialement ces nouveaux arrivant sont plus souvent menées au niveau local.
Crise du bénévolat sportif et crise de l‘accueil : deux problèmes pouvant avoir une solution commune ? Les clubs sportifs sont un point de convergence entre locaux et nouveaux arrivants. Pour une personne réfugiée, devenir bénévole sportif est souvent une expérience enrichissante permettant de rencontrer des locaux, mais aussi de développer des compétences transférables dans leur vie de tous les jours.
Convaincu du fort pouvoir intégrateur du bénévolat sportif, le club de football amateur Liberi Nantes s’engage auprès des populations réfugiées dans la région de Rome. Interview avec Marta Cristianini, chargée de mission au sein de l’association.
En quelques mots, qu’est-ce que Liberi Nantes ? Pourquoi l’association a-t-elle été créée ?
Le droit et la liberté indéniables d’imaginer, de choisir et de construire un avenir meilleur : tout commence ici. En 2007, un groupe d’amis sensibles aux questions d’immigration et passionnés de football décide de créer à Rome une équipe de football pour les réfugiés, les demandeurs d’asile et les locaux. Après plusieurs années passées à défendre les couleurs de leur club, Liberi Nantes a été reconnu par la fédération italienne de football et évolue depuis dans la ligue nationale amateur.
Aujourd’hui encore, Liberi Nantes promeut et garantit le libre accès aux activités sportives et de loisirs pour les habitants et les ressortissants de pays tiers, en particulier les réfugiés et les demandeurs d’asile.
Après quelques années sans véritable lieu d’entraînement, l’association a commencé en 2007 à gérer et à s’occuper d’une ancienne installation sportive publique abandonnée, un lieu historique pour la communauté locale. Les bénéficiaires eux-mêmes sont des acteurs clé de l’association. En effet, grâce aux efforts des bénéficiaires bénévoles, nous sommes en train de rénover ces installations sportives.
Pourquoi est-il judicieux de recruter des réfugiés pour des postes de bénévoles dans les clubs de football ?
Il est essentiel de faire la différence entre une action qui consiste uniquement à offrir un « service » et une action qui vise à construire quelque chose ensemble.
En outre, impliquer des réfugiés ainsi que des personnes issues de différents contextes migratoires ou en situation défavorisée, renforcent le sentiment d’appartenance. Cela aide les gens à partager des choses et à avoir la même vision. Ce partage de valeurs et d’objectifs crée des liens sociaux forts et renforce l’intégration des nouveaux arrivants dans une communauté.
Quels sont les concrètement les activités de bénévolat auxquelles se dédient les joueurs de Liberi Nantes ?
L’équipe masculine de football s’entraînait auparavant sur un terrain de sport payant du quartier, le Campo XXV Aprile. Les autorités publiques locales ont ensuite officiellement confié l’espace à Liberi Nantes. A l’époque, le terrain était, disons-le, une jungle. Or, nous avions besoin d’un lieu pour jouer et surtout pour « construire une équipe ». Le terrain devait être rénové.
Les gars de l’équipe se sont naturellement tournés vers les centres d’accueil pour demandeurs d’asile de Rome pour demander de l’aide. Grâce aux différentes compétences des bénéficiaires des centres, le Campo XXV Aprile a été rendu accessible et son image a été restaurée. Cela a permis d’établir une forte relation de confiance entre les bénévoles et l’association.
Aujourd’hui, l’un des entraîneurs de notre équipe junior est issu de l’immigration. Il a commencé comme bénévole et a ensuite pu se former pour devenir entraîneur. Il est une référence pour beaucoup au sein de l’association.
Qu’est-ce que cette expérience de bénévolat apporte à la fois à Liberi Nantes et aux bénévoles réfugiés ?
Cette expérience partagée a permis de consolider le sentiment d’appartenance des réfugiés et demandeurs d’asile de l’association. Elle a également stimulé leur proactivité. Ils sont passés d’une attitude passive à une attitude plus active. Ce bénévolat offre également des possibilités de loisirs et des alternatives à l’ennui et aux longues heures passées dans les centres d’accueil (en raison de la longueur des procédures administratives).
Au niveau de l’association, le contact avec les personnes qui ont des difficultés à s’intégrer dans la société est un élément essentiel de notre succès, il consolide une valeur fondamentale de notre vision : le respect et la coexistence pacifique de toutes les différences, vers la consolidation d’un espace sûr où nous pouvons tous nous sentir libres, ne serait-ce que pour jouer et rester ensemble sans le fardeau des difficultés et des soucis quotidiens.
Quels conseils donner à un club de football qui souhaiterait entamer ce processus d’inclusion ?
La question est complexe, et la complexité doit être traitée en permanence par le dialogue. Il faut être ouvert d’esprit, apprendre à connaître la personne et l’accepter telle qu’elle est. Il faut aller au-delà des stéréotypes. Il faut écouter et valoriser les compétences, les intérêts, les passions et les perspectives des personnes plutôt que de leur assigner des tâches « non stimulantes ». Cette approche encourage les gens à être proactifs et à développer des voies que nous n’aurions même pas imaginées.
L’idée que chacun peut trouver sa place sur un pied d’égalité est l’une des clés pour construire des ponts entre les gens, même s’ils viennent d’horizons opposés. C’est le cas de l’implication récente dans l’équipe de football masculine de soldats de la caserne voisine, représentant souvent des modèles culturels très différents de ceux des réfugiés : c’est un exemple de construction d’une manière nouvelle et inattendue d’être ensemble, d’une relation de soutien mutuel et d’attention qui va au-delà du terrain de sport.
Que retenir de la dernière conférence nationale du projet FIRE+ à Francfort ?
L’idée que nous ne sommes pas seuls dans la bataille sur le terrain. Il est important de reconnaître et d’écouter ces voix du terrain afin de conduire de nouvelles politiques d’inclusion.
[1] Chiffres du dernier eurobaromètre sur le sport et l’activité physique.
Accompagner les clubs de football dans l’inclusion des personnes réfugiées en tant que bénévoles tant leurs clubs, c’est toute l’ambition du « FIRE MOOC ». Ce programme de formation en ligne (MOOC), développé dans le cadre des projets européens FIRE et FIRE+ et soutenu par le programme Erasmus+ Sport de l’Union européenne permet à ses utilisateurs d’acquérir des connaissances et de comprendre comment créer leur propre programme d’inclusion.
Le bénévolat sportif étant un fort levier d’inclusion sociale, un module du FIRE MOOC à ce sujet est en cours de développement et sera disponible en mai 2023.
Pour aller plus loin
Le site du projet FIRE+ www.footballwithrefugees.eu
Revue 51 Sport et Citoyenneté Sport et Réfugiés, conclusion du projet FIRE