3 points à retenir de la table ronde :
« Reconnaitre et accompagner l’engagement des femmes dans le sport »
22 mars 2024 – Stade Marie-Marvingt, Le Mans
Clémence Raynaud, chargée de mission, Think tank Sport et Citoyenneté
A l’occasion de la rencontre du Tournoi des Six Nations féminin 2024, la Région des Pays de la Loire et le Think tank Sport et Citoyenneté ont organisé en marge de la rencontre France-Irlande jouée le samedi 23 mars 2024 au Stade Marie Marvingt du Mans une conférence-débat sur l’engagement des femmes dans le sport.
L’engagement des femmes dans le sport peut couvrir plusieurs dimensions. Parmi elles figurent l’engagement dans la pratique sportive ainsi que l’engagement bénévole (bénévolat quotidien, bénévolat dirigeant, arbitrage).
Depuis plusieurs décennies, l’accès aux pratiques sportives s’est massifié. Le baromètre des pratiques sportives (2023) précise que la pratique régulière est en forte hausse en France ces dernières années, ce qui a notamment été porté par la pratique féminine qui a expérimenté une hausse similaire jusqu’en 2022, avant de connaitre un recul en 2023. Toutefois la pratique sportive reste socialement différenciée et des évolutions dans la pratique sont à dénoter puisque les personnes font désormais davantage de sport à domicile et moins dans les structures sportives. Certains freins demeurent alors au développement des pratiques sportives, à commencer par le fait que 34% des non-pratiquants ou pratiquants très occasionnels déclarent ne pas faire de sport parce qu’ils n’aiment pas cela ou préfèrent d’autres activités. Ensuite, les contraintes professionnelles, scolaires ou familiales mais aussi le coût sont les deux principaux freins à une augmentation de la pratique chez les pratiquants réguliers.
Le bénévolat est l’un des piliers du système sportif français. Selon l’enquête sur les bénévoles dans les associations sportives (INJEP, 2023), on constate ainsi qu’un Français sur 10 est bénévole dans une association sportive (chiffres 2021). Plutôt qu’une « crise du bénévolat », on constate davantage une mutation du bénévolat, avec un engagement différent des jeunes générations. Contrairement aux idées reçues, le bénévole sportif est plutôt jeune mais il s’engage moins dans la durée. A l’inverse, le bénévolat sportif de direction est nettement plus âgé. On constate ainsi un besoin de revitaliser le bénévolat sportif, de lui (re)donner du sens et de capter de nouveaux profils au profit des associations sportives. Parmi ces nouveaux profils figurent le public féminin, encore en légère infériorité dans le bénévolat sportif mais largement sous-représenté aux postes de direction.
Malgré l’adoption en février 2022 de la Loi Sport, dont l’une des mesures vise à instaurer une parité stricte dans les instances dirigeantes sportives d’ici 2024 (et 2028 pour les échelons régionaux et locaux), il existe encore une faible représentation des femmes aux postes à hautes responsabilités.
Etaient alors invités à introduire la conférence-débat : Isabelle Leroy, 4e vice-présidente de la Région des Pays de la Loire, présidente de la commission Culture, sports, vie associative, bénévolat, solidarités, civisme et égalité hommes femmes et présidente de la Conférence Régionale du Sport des Pays de la Loire, Anne Cordier, Présidente du Comité Régional Olympique et Sportif des Pays de la Loire, rappelant la place accordée aux bénévoles et au sport dans la région et les projets du CROS en faveur de l’engagement féminin. Enfin, Florian Grill, président de la Fédération Française de Rugby, a fait le lien entre le sujet de la matinée et le match de l’après-midi en abordant la stratégie de la FFR concernant la féminisation de son offre de pratique.
Anne Tatu, docteure en sociologie et agrégée d’EPS, membre du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté, a ensuite introduit le sujet, définissant les notions-clés et tirant un état des lieux de la situation actuelle. Puis, Géraldine Pons, vice-présidente de Sport et Citoyenneté, en charge de la modération de la conférence, a accueilli autour d’une table ronde Laëtitia Szwed, cheffe d’entreprise, membre du conseil d’administration de la Fédération Française de Handball, membre de la Conférence Régionale du Sport des Pays de la Loire, Adeline Sergent, membre du CA du CROS, de la ligue de Badminton et arbitre internationale, Brigitte Jugla, vice-présidente de la Fédération Française de Rugby, chargée du rugby féminin, Gwladys Lemoussu, para-triathlète, lauréate du Trophée Joséphine et Monique Bernard, présidente des Neptunes de Nantes Volley-Ball et lauréate elle-aussi du Trophée Joséphine.
Après ce temps de discussion, quelques échanges ont pu avoir lieu avec le public, notamment avec des membres du Conseildes Jeunes du CROS Pays de la Loire et des jeunes bénévoles accompagnés par la Région des Pays de la Loire. Enfin, Isabelle Leroy a conclu cette matinée en revenant sur plusieurs initiatives de la Région telles que la promotion des jeunes bénévoles, les Trophées Joséphine dont la cérémonie se déroulera le 18 avril prochain à Nantes ou encore le Région Pays de la Loire Tour, du 2 au 5 avril, avec une course féminine inédite prévue le 3 avril prochain.
Les 3 points clés du débat :
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Existe-t-il un parcours d’engagement sportif « au féminin » ?
Défini en introduction par Anne Tatu, le parcours d’engagement fait référence au concept d’Howard Becker de carrière d’engagement, défini comme la trajectoire individuelle de comportements cohérents dans une même activité qui s’inscrit dans le temps. Après un état des lieux de l’engagement et de ses conditions pour les femmes dans le bénévolat sportif, Anne Tatu tire quatre exemples de parcours types d’engagement des dirigeantes sportives, à commencer par les carrières sous influence masculine, qui regroupe la « bénévole de circonstance », souvent la mère donnant un coup de main, et « l’élue », instituée par un mentor masculin qui quitte son poste. Elle distingue ensuite les carrières d’engagement autonome avec les profils de la « bénévole altruiste », marquée par un engagement vocationnel et durable, et enfin, la « passionnée d’une discipline sportive » ayant prouvé sa légitimité en raison de son statut de sportive de haut-niveau. En réalité, une certaine perméabilité existe entre ces parcours types, telles qu’en témoignent les expériences des invitées autour de la table ronde, qui se retrouvent bien souvent dans plusieurs des situations énoncées en introduction.
Le parcours de Brigitte Jugla en est le parfait exemple : elle découvre l’engagement et le bénévolat auprès de ses parents, et bénéficie de sa qualité de sportive d’abord en tant qu’handballeuse, puis comme joueuse de rugby, sport qu’elle découvre véritablement par l’intermédiaire de son fils puisqu’elle commence à s’investir dans son club en faisant les actions « que font les mamans ». Au fil du temps, elle a gravi les échelons, devenant la première femme à diriger un club de rugby masculin, jusqu’à rejoindre la FFR en 2016, où Bernard Laporte la place en charge du centre de performance de Marcoussis, puis au cours de sa seconde mandature la nomme vice-présidente, chargée du rugby féminin. Monique Bernard et Adeline Sergent débutent quant à elles en tant que pratiquantes, ce qui dirige la première vers la direction de clubs de volley-ball, alors que la seconde se tourne vers l’arbitrage. Point de départ similaire pour Laetitia Szwed qui se destinait à une carrière de handballeuse, mais pour cause du statut semi-professionnel de l’époque, ne peut se consacrer entièrement au handball. Elle va multiplier les expériences en tant qu’élue, dirigeante, entrepreneuse, et est désormais élue au Comité Directeur de la Fédération Française de Handball en charge de l’évènementiel.
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Percer le plafond de verre
Monique Bernard l’a souligné : « Le sport se rapproche de la parité dans la pratique mais pas dans les instances ». Un constat relativement similaire en ce qui concerne le nombre de bénévoles puisque les femmes représentent 46% du bénévolat sportif. Toutefois, tel que le relevait Anne Tatu au cours de sa présentation, la parité ne veut pas dire l’égalité, puisque dans les faits, l’engagement reste encore genré. Un plafond de verre demeure alors à l’accession des femmes vers les postes de direction.
Un des principaux freins repose dans les représentations stéréotypées qui persistent et qui touchent autant la répartition des rôles que les choix de disciplines. Laetitia Szwed a pu l’expérimenter quand, dès son enfance, sa famille l’a découragée de faire du football car « ce n’est pas pour les filles ».
Toutes peuvent témoigner des obstacles qu’elles ont pu rencontrer au cours de leur carrière. « En tant que femmes il faut se battre constamment pour montrer qu’on peut réussir autant que les hommes » affirme Gwladys Lemoussu. Laetitia Szwed et Monique Bernard ont par exemple abordé le sujet des contraintes familiales et les remarques qu’elles ont pu subir les ramenant souvent à leur statut de mères. De son côté, Brigitte Jugla reconnait avoir rencontré des difficultés, notamment lorsqu’elle a porté un projet de fusion de deux clubs du Médoc, que certains ne supportaient pas.
Mais selon Laetitia Szwed « les principaux freins c’est nous qui nous les mettons », une autolimitation féminine mentionnée également par Anne Tatu, citant Pierre Bourdieu « Tout se passe comme si la féminité se mesurait à l’art de se faire toute petite… » (Bourdieu, 1998).
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Fédérer les nouvelles générations
Gwladys Lemoussu a conscience du rôle de modèle qu’elle peut incarner auprès des jeunes filles, notamment lorsqu’elle se rend dans son club de Saint-Jean-de-Monts et qu’elle échange avec elles, et souhaite davantage s’engager sur ces sujets à l’avenir. La FFR reconnait également que les joueuses peuvent porter des espoirs et s’est donc emparée du sujet pour modérer et accompagner les joueuses dans ces initiatives. Pour Monique Bernard, il y a également un enjeu de visibilité à relever pour que les petites filles aient des représentations de femmes sportives sur leurs écrans, et cela passe donc par une plus grande médiatisation des pratiques féminines, qui reste encore difficile pour les clubs aujourd’hui.
Tout au long de la table ronde, Laetitia Szwed a souligné l’importance de la transmission vers les nouvelles générations. Une mission à laquelle s’adonne Adeline Sergent en tant que formatrice pour la ligue de Badminton, ce qui lui permet de vivre avant tout des moments de partage et une expérience humaine, malgré le caractère solitaire de l’arbitrage.
L’enjeu est désormais de parvenir à renouveler et structurer le bénévolat, pour parvenir notamment à capter les femmes. Pour Monique Bernard, cela passe par l’instauration d’une mission à part entière au sein des clubs, tel que cela a pu se faire au sein des Neptunes de Nantes, pour que le recrutement des bénévoles tienne compte des aptitudes de ceux-ci, mais également que leurs actions soient reconnues et qu’ils soient pleinement investis dans la vie du club. D’autre part, une structuration plus importante du bénévolat devrait pouvoir permettre des parcours d’évolution au sein de la structure et de monter dans la hiérarchie avec l’expérience.
Plusieurs initiatives sont alors menées pour susciter l’engagement des femmes et des jeunes. La FFR par exemple organise des Académies Pôles Espoirs visant à ouvrir le champ des possibles en dehors du champ uniquement sportif en faisant découvrir aux jeunes le bénévolat, l’arbitrage, etc. Pourraient également être mentionnés le Club des 300 femmes du CNOSF, le Conseil des Jeunes du CROS Pays de la Loire, les Trophées Joséphine de la Région Pays de la Loire ou encore la Promotion de la Région.
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Lire le précédent article de la semaine :
Quel(s) impact(s) un club sportif a-t-il sur son territoire ?
Par Bruno Lapeyronie, Membre du Comité Scientifique, Think tank Sport et Citoyenneté