« Trouver des passerelles entre ce qui existe dans le sport et la façon dont on peut l’appliquer à l’entreprise »

 

Propos recueillis par Sylvain Landa et Maëlys Loroscio

Capitaine et figure emblématique du Rugby Club Toulonnais (RCT), vice-champion du monde et quadruple vainqueur du Tournoi des Cinq Nations avec le XV de France (dont un Grand Chelem en 1987), Éric Champ a connu le rugby avant l’ère professionnelle. Une situation qui lui a permis de préparer son après-carrière sportive en parallèle de sa carrière de rugbyman. Aujourd’hui l’un des dirigeants du groupe Parlym, un acteur majeur de l’ingénierie industrielle, il s’appuie régulièrement sur son expérience de terrain et tente de transposer les valeurs du sport et du rugby, pour contribuer à la performance du management et à la réalisation des objectifs des entreprises.

 

Peut-on considérer que le fait d’avoir été sportif de haut niveau, notamment dans une discipline, le rugby, qui apporte énormément aux pratiquants, vous a servi dans votre quotidien professionnel ?

EC : Oui totalement, et à plusieurs niveaux. Sans tomber dans la caricature et les beaux discours, le rugby c’est une vraie école de la vie. La notion d’entraînement, d’effort, de concentration, de gestion… ce sont des éléments que l’on retrouve particulièrement dans cette discipline. Je pense aussi à la notion de reconnaissance. Sur un terrain, surtout dans un sport d’équipe, c’est primordial. On n’est rien sans les autres ! On souffre ensemble pour atteindre notre objectif et quand c’est le cas, quel bonheur !

Cette reconnaissance, on la ressent aussi en dehors des terrains. La notoriété permet d’ouvrir des portes. Mais il faut faire attention à ne pas gaspiller ces opportunités. Personnellement, j’ai connu le rugby avant l’ère professionnelle. Nous autres joueurs étions alors dans l’obligation de suivre une formation scolaire et d’apprendre un métier en parallèle. C’était une chance ! En ce qui me concerne, j’ai suivi une formation technique, je travaillais dans des ateliers pour des entreprises, grandes ou moyennes, avec un réel savoir-faire et des compétences. Les gens m’ont ouvert la porte volontiers, et étaient prêts à aider. C’est certain qu’être le capitaine du RCT facilitait les choses. J’ai pu vraiment me concentrer sur le rugby. Mais si j’avais gaspillé cette opportunité, cela aurait été compliqué ensuite, quand « la lumière s’éteint », qu’on raccroche les crampons et que l’on redevient un citoyen « lambda ». Si l’on n’est pas préparé à une reconversion professionnelle assez tôt, en termes de réflexion, de perception des choses, c’est difficile à vivre. A titre personnel, j’avais cette formation technique et lorsqu’un ami de la région qui avait un bureau familial d’ingénierie m’a demandé de le rejoindre, mon aventure professionnelle a démarré. Ce bureau d’étude a été vendu à un très grand groupe et je suis devenu l’un des responsables. Cela fait 26 ans maintenant que je suis industriel. A côté de ça, j’ai développé une activité de conseil en entreprise et de conférencier. J’interviens sur l’aspect managérial, la dynamique et l’esprit d’équipe.

« L’entreprise, c’est un sport de combat collectif,  dans le bon sens du terme »

 

Dans quels buts les entreprises font-elles appel à vous ?

EC : Les entreprises sont confrontées aujourd’hui à un combat permanent pour aller chercher les carnets de commande, pour constituer leurs équipes, les faire avancer, etc. Je n’ose pas être prétentieux, mais une partie de ma réussite vient du fait que cela ressemble beaucoup à tout ce que j’ai fait au cours de ma carrière sportive. Gérer des équipes, fixer des objectifs, motiver les cadres, supporter la pression…, cela demande une vraie expertise qui ressemble beaucoup aux compétences que je mettais en œuvre sur le terrain, quand il fallait gagner des matchs. L’entreprise, c’est un sport de combat collectif, dans le bon sens du terme. Les managers sont effectivement friands des personnes qui ont cette capacité à parler de ce qu’elles ont vécu sur le terrain. Sans orgueil, ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est de trouver des passerelles entre ces deux mondes. C’est bien de parler de ce qu’il se passe dans un vestiaire ou sur un terrain. Mais le monde de l’entreprise comporte ses spécificités. Mon travail en tant que conseil/conférencier, c’est de trouver des passerelles entre ce qui existe dans le sport et la façon dont on peut l’appliquer à l’entreprise en question. Mes interventions se font toujours en fonction des attentes des entreprises. C’est du sur-mesure. Je mets beaucoup de temps pour préparer mon intervention, je discute avec les gens qui font appel à moi pour comprendre la réalité de l’entreprise, quelle est leur stratégie et ce qu’ils attendent de cette intervention. J’essaie aussi de m’immerger un peu dans l’entreprise afin de comprendre mieux la situation.

 

Vous parliez des qualités requises pour manager les équipes, que ce soit sur le terrain ou dans l’entreprise. Peut-on dire que l’élément central est la motivation, la façon dont on fixe des objectifs ?

EC : Bien sûr. Un collaborateur comme un sportif, il faut qu’il puisse donner 100% de lui-même. Pour autant, et c’est un point que j’ai appris un peu à mon dépend durant ma carrière sportive, on ne peut pas demander à quelqu’un d’être à 100% tout le temps. Il faut aussi savoir gérer la fatigue, physique ou psychologique. Bien identifier le moment où il faut être performant, l’investissement que cela demande, et savoir aussi faire retomber la pression, donner de l’air. Un bon manager c’est celui qui a la capacité à gérer tous ces éléments.

« Être vigilant et respecter l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle »

 

Au cours de vos interventions, constatez-vous quelquefois que certains managers ou entreprises attendent trop de vous ou du sport ?

EC : C’est un point très important. Je commence quasiment toujours mes formations par là. L’entreprise, on y vient pour faire « bouillir la marmite ». La motivation première des personnes qui travaillent, c’est de gagner leur vie. Le sport par contre, c’est la passion, enfin normalement. Très peu gagnent leur vie avec. Il y a donc un décalage entre ce qu’est l’entreprise et ce que représente le sport. Au début de ma vie professionnelle, je ne comprenais pas pourquoi les gens n’étaient pas passionnés à 200% par leur métier, comme je l’étais par le mien, le rugby. J’ai mis un peu de temps à comprendre qu’en général les gens ne sont dans une entreprise que pour gagner leur vie. C’est là où les bons managers peuvent agir, en amenant leurs équipes à s’investir dans leur travail, à prendre du plaisir, tout en étant vigilant à respecter l’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle.

 

Cela rejoint les questions relatives à la qualité de vie au travail. Pensez-vous que le sport ou les activités physiques puissent aider dans ce domaine ?

EC : Je le crois oui. On passe plus de temps dans sa vie professionnelle que personnelle, et cela se renforce avec l’éloignement domicile-travail et les changements de méthodes de travail. Cela peut éloigner de la famille, restreindre les moments de loisirs… J’ai travaillé pour de grands groupes où la réflexion sur la qualité de vie et le bien-être au travail existait déjà. On essayait de poursuivre ces réflexions, en améliorant la qualité de la cantine, en installant une salle de sport, on a vu apparaître des moments de relaxation, de massage… Personnellement, je crois que ce qui est important, c’est que l’entreprise propose et non impose aux collaborateurs les conditions de leur épanouissement. Il y a une barrière à ne pas franchir, celle de s’immiscer dans la vie des gens.

 

En général, quelles sont les réactions des gens (collaborateurs, direction…) lorsque vous vous intervenez en entreprise ?

EC : Cela varie forcément. Il y a sûrement des personnes auxquelles ça ne convient pas, et elles ont le droit de penser cela ! Certains croient à d’autres vertus, à d’autres routes ou d’autres discours. De façon surprenante je n’ai jamais eu de retour négatif, mais il y a sûrement des personnes qui sont moins réceptives. Il y a aussi des gens qui posent beaucoup de questions. J’essaie d’être là avant et après la conférence, pour rester au contact et à la disposition des gens. Certains sont complétement passionnés. Ils essaient de mettre en pratique les pistes d’actions définies ensemble, et me font part de leur retour d’expériences. C’est toujours enrichissant. Avant chaque intervention, j’essaie de bien comprendre le fonctionnement de l’entreprise. Cela permet de s’adapter à chaque cas, à chaque profil. C’est arrivé une fois que mon discours soit en décalage avec les techniques managériales et la réalité de l’entreprise. L’impression était terrible. Le sport ne peut pas résoudre toutes les questions que pose le management des équipes. C’est une réponse parmi d’autres, qui doit s’accompagner d’une vraie réflexion sur la façon dont l’entreprise s’organise. Alors les résultats peuvent être réels.

 

 

 





Sport et citoyenneté