Cet article est protégé par un mot de passe. Pour le lire, veuillez vous connecter.




Sur le chemin de la normalisation

 

 

 Il ne doit pas y avoir beaucoup d’événements sportifs qui peuvent se permettre de passer outre le nom du sport qu’ils célèbrent.

Par Albrecht Sonntag, Professeur en études européennes, ESSCA School of Management.

 

Le titre officiel « Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019TM », en tout cas, ne fait pas mention du terme « football ». Faut-il y voir un héritage de la « masculinité hégémonique » qui caractérise ce sport depuis ses débuts ? Il est vrai que la « Coupe du Monde de la FIFA, Russie 2018TM » n’était, elle, pas affublée de l’adjectif « masculine », comme s’il n’y avait aucun besoin de préciser. À moins que ce ne soit l’hégémonie du football dans le paysage sportif qui fait que le terme « Coupe du Monde » renvoie automatiquement vers lui…

 

Toujours est-il que cet événement est désormais solidement ancré dans le décor global du sport. Pourtant, pour les acteurs mêmes de la compétition – joueuses, officielles, arbitres, spectatrices et spectateurs – la Coupe du monde aura quelque chose d’irréel. Vitrine internationale du football féminin, elle sera moins un reflet de ce qu’est devenu ce sport qu’une projection de ce qu’on peut espérer qu’il devienne un jour.

 

« La performance comme seul critère »

 

Des stades bien remplis et très animés n’y seront pas l’exception, comme dans le quotidien des ligues, mais la règle tout au long du tournoi. L’intérêt médiatique, s’appuyant sur le nationalisme sportif, sera massif et soutenu, plutôt que discret et ponctuel. Et suite à une sensibilisation accrue au sexisme ordinaire – le mouvement #metoo est passé par là – on peut même s’attendre à ce que le flot du discours généré par l’événement soit beaucoup moins contaminé de condescendance mâle qu’il n’a été par le passé.

 

Pour peu que le pays hôte aille assez loin dans la compétition, cette Coupe du monde sera un succès, pour les villes hôtes, pour les médias, pour la FIFA. Pour qu’elle le soit sur un plan socio-culturel, il faudrait que les joueuses elles-mêmes, tout comme les commentatrices et expertes dans les médias, toujours plus nombreuses, ne se laissent pas piéger par la « féminisation à outrance ».

 

Il s’agit, d’une part, de supprimer le réflexe malsain de la comparaison quasi-systématique avec le jeu masculin, pourtant omniprésent dans l’imaginaire collectif des téléspectateurs ou lecteurs. Le football féminin n’est pas « moins bon » que le football des hommes (on connaît les arguments), mais il n’est pas non plus « meilleur » (sur le plan comportemental, par exemple). Il est lui-même, et il doit suffire à lui-même.

 

D’autre part, il faut résister à la tentation de renvoyer les joueuses avec insistance vers leur féminité, pour justifier en quelque sorte qu’on peut jouer au football sans perdre des attributs stéréotypés traditionnellement considérés comme réservés au sexe féminin. Ce sont des sportives, elles n’ont pas à être évaluées sur d’autres critères que ceux de la performance en vigueur au sein de leur discipline.

 

Si dans dix ans, on regarde cette Coupe du Monde comme une simple étape sur le chemin d’une normalisation, elle aura été un succès sur toute la ligne.

www.essca.fr

 

Retrouvez cet article dans la revue Sport et Citoyenneté n° 46 Sport et Genre



Sport et citoyenneté