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Revue 39 – Interview de Guido Raimondi

« Respect des droits de l’homme et indépendance du monde sportif »

L’intervention des juridictions nationales et internationales dans les affaires sportives est limitée. Cette étanchéité puise ses racines dans une longue tradition d’indépendance et d’autonomie du sport. Cela ne va pas sans poser des questions, au regard notamment de la protection des droits fondamentaux des sportifs, comme le souligne le Président de la Cour européenne des droits de l’homme Guido Raimondi, interrogé par Sport et Citoyenneté en septembre 2016.

 

La place du sport dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est limitée. L’intervention de la Cour ne peut avoir lieu qu’à la suite de celle d’organes juridictionnels nationaux, du fait de la règle de l’épuisement des voies de recours interne, qui conditionne la compétence de la Cour de Strasbourg. Or, même les interventions des juridictions nationales dans les affaires relatives au sport sont assez rares et pour cause : de manière générale, l’adhésion à une association sportive suppose la renonciation à se prévaloir de la possibilité de saisir le juge étatique, les différends éventuels en matière de sport devant, le cas échéant, être réglés à l’intérieur du système sportif. Des sanctions, pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’intéressé de sa propre fédération sportive, ce qui veut dire la fin de sa carrière, sont d’ailleurs prévues pour les sportifs qui ne respecteraient pas cette consigne.

Cette fermeture vis-à-vis du monde extérieur est certainement une des caractéristiques du monde du sport, ce qui n’est pas sans rappeler – en espérant que ce rapprochement ne soit pas considéré comme blasphématoire – l’attitude de certaines églises, qui ne supportent pas des formes d’ingérence et de contrôle de la part d’entités externes, y compris les autorités étatiques.

S’agit-il d’une mauvaise chose ? En tant que sportif « spectateur », de football notamment, et non pas sportif « pratiquant », il me semble assez normal que les interventions des autorités étatiques vis-à-vis du monde du sport soient limitées et je comprends que, de l’intérieur du monde du sport, on puisse regarder toute ingérence d’une autorité publique comme l’irruption d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je dois avouer que lorsque – il y a plusieurs années – un tribunal administratif est intervenu dans mon pays au sujet d’une affaire concernant le classement de mon équipe de foot dans le championnat italien de première division, ma réaction en tant que « tifoso » a été de penser : « Mais de quoi se mêlent donc ces juges ? » Sans doute, cette étanchéité du monde du sport a-t-elle ses raisons et ses racines profondes. Toutefois, peut-on vraiment accepter que le droit s’arrête complètement à la porte du monde sportif ?

S’il y a un aspect remarquable dans l’évolution récente de la pensée juridique, c’est précisément la consécration des droits individuels, notamment des droits fondamentaux de la personne humaine, dont la protection n’a cessé d’évoluer et de s’approfondir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et ce tant au niveau national qu’international. Or, il est évident que le monde du sport ne pouvait rester à l’écart d’une telle évolution. Une prise de conscience a eu lieu sur le fait qu’il était nécessaire de concilier l’indispensable indépendance du système sportif avec le respect – tout aussi indispensable – des droits fondamentaux des sportifs, notamment des sportifs professionnels. En effet les sportifs, comme tous les êtres humains, sont protégés par l’article premier de la Convention européenne des droits de l’homme, qui oblige les parties contractantes à reconnaître à toute personne les droits et libertés définis dans la Convention.

Parmi les domaines dans lesquels la Cour pourrait être amenée à intervenir, il y a le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable, notamment pour ce qui concerne les procédures d’arbitrage ou la procédure devant le Tribunal arbitral du sport, le droit au respect de la vie privée, lequel peut être affecté dans le cadre de la lutte contre le dopage. Bien d’autres situations sont envisageables dans lesquels la Convention européenne des droits de l’homme peut être invoquée à l’occasion de litiges en matière sportive.

C’est pourquoi l’instauration d’un dialogue entre les organes de protection des droits de l’homme et ceux de la justice sportive sera certainement très utile et des initiatives en ce sens ont d’ailleurs été prises par le Tribunal arbitral du sport. Ce dialogue est tout à fait nécessaire si on veut concilier le respect des droits de l’homme et le besoin d’indépendance du monde sportif.

Une prise de conscience par le mouvement sportif des exigences liées à la protection des droits fondamentaux en vue de garantir, sur la base de décisions autonomes, la plus grande conformité possible des procédures de justice sportive avec les droits fondamentaux constituerait un progrès indéniable.

Mon espoir serait qu’en cas d’intervention de la Cour, celle-ci soit accueillie par le monde du sport, non comme une ingérence inappropriée, mais comme une contribution à un effort commun visant à assurer la protection des droits fondamentaux dans le monde sportif. Tout en préservant l’autonomie et l’indépendance du sport. Une indépendance qui fait sa beauté et lui donne la place qui est la sienne dans notre société contemporaine, une composante de la fraternité entre les peuples.



Sport et citoyenneté