Réseaux sociaux : contrer la prolifération des discours de haine dans le sport 

Rosarita Cuccoli, PhD, Professeur de sociologie du sport, Université de Vérone, Membre du Comité Scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté, référente « Sport et médias »

 

01/12/2023

Le nombre de messages contenant des commentaires haineux en lien avec le sport a considérablement augmenté en trois ans, souligne une étude de l’Université de Turin. Pour y faire face, des programmes d’éducation aux médias numériques sont à encourager.

 

Les réseaux sociaux offrent aux individus des possibilités supplémentaires de diffuser des informations et de partager leurs opinions. Malheureusement, nous sommes tous conscients de l’ampleur alarmante des messages de haine diffusés par le biais de ces plateformes, dont beaucoup concernent le sport. Les réseaux sociaux sont devenus le nouveau terrain d’affrontement des fans de sport. Une nouvelle étude de l’Université de Turin a exploré l’évolution du contenu haineux sur les comptes officiels des réseaux sociaux des cinq grands organes d’information sportive italiens : La Gazzetta dello Sport, Il Corriere dello Sport, Tuttosport, Sky Sport et Sport Mediaset. L’étude a révélé que le nombre de messages contenant des commentaires haineux sur Facebook a plus que doublé entre 2019 et 2022, passant de 13,4% à 29,1%. Une augmentation considérable que l’on retrouve aussi sur Twitter (aujourd’hui X), avec des réponses haineuses passant de 31% en 2019 à 54,9% en 2022.

L’étude, intitulée « Barometro dell’odio nello sport – 2a edizione » [Baromètre de la haine dans le sport – 2e édition], a examiné la présence de discours haineux dans plus de 3 millions de commentaires et de réponses à des posts Facebook et à des tweets, entre le 1er octobre 2022 et le 6 janvier 2023. Les données ont ensuite été comparées à celles de la première enquête menée en 2019. Facebook et Twitter ont été choisis parce que l’interaction par les commentaires y est essentielle sur ces deux plateformes, comparativement à d’autres qui tournent principalement autour des images (Instagram, Snapchat) ou des vidéos (YouTube, TikTok). L’étude a été conduite par Antonella Seddone, Giuliano Bobba, Moreno Mancosu et Federico Vegetti du Centre for Public Opinion & Digital Environment Research (CODER) de l’Université de Turin dans le cadre d’un projet plus large intitulé « Odiare non è uno sport » [Haïr n’est pas un sport], soutenu par l’Agence italienne de coopération au développement. Les chercheurs ont travaillé sur un échantillon de 12 329 messages sur Facebook et de 4 997 tweets sur Twitter, et sur un total de 3 412 956 commentaires sur Facebook et de 29 625 réponses sur Twitter.

 

Agressivité verbale et langage grossier

 

Intuitivement, nous comprenons tous ce qu’est un discours de haine : un discours empreint d’agressivité, d’hostilité, de menace potentielle pour la paix sociale. Cependant, définir plus précisément ce concept n’est pas une tâche aisée. Pour les besoins de l’étude, les chercheurs ont identifié quatre dimensions spécifiques :

  1. Le langage grossier (utilisation de jurons et d’expressions vulgaires)
  2. L’agressivité verbale (utilisation de jurons et d’expressions vulgaires visant à offenser verbalement une autre personne)
  3. L’agressivité physique (utilisation de mots pour menacer physiquement une autre personne)
  4. Les propos discriminatoires (utilisation de mots pour offenser la diversité présumée d’une autre personne sur la base de caractéristiques telles que la religion, l’appartenance ethnique, la nationalité, la race, le sexe…).

L’agressivité verbale est apparue comme la dimension la plus récurrente, à la fois sur Facebook (67,3%) et sur Twitter (58,1%), suivie du langage grossier (22,1% sur Facebook ; 36% sur Twitter), des propos discriminatoires (6,5% sur Facebook ; 3,8% sur Twitter) et de l’agressivité physique (4,1% sur Facebook ; 2,1% sur Twitter). C’est toutefois le langage grossier qui a enregistré la plus forte augmentation par rapport à 2019, sur Facebook (+8,1%) comme sur Twitter (+5%).

Un fléau qui touche toutes les disciplines

 

Il est impossible d’étudier les tendances liées au sport en Italie sans accorder une attention particulière au football. Une section spécifique du rapport est en effet consacrée à cette discipline, que l’on retrouve dans 96,1% des posts Facebook et 95,2% des tweets examinés. La plus grande partie des messages et des commentaires sur les deux plateformes étaient liés aux principaux clubs de football : Juventus, Inter, Milan, Naples, Rome. Des propos haineux ont été relevés dans les commentaires relatifs à tous les clubs, et aucune différence majeure n’est apparue à cet égard entre un club et un autre, ont déclaré les chercheurs. La Formule 1 et le tennis occupent la deuxième et la troisième place en matière de couverture. Cela vaut aussi bien pour Facebook que pour Twitter, mais pas dans le même ordre. Sur Facebook, la Formule 1 occupe la deuxième place (24,8%), suivie par le tennis (19,9%). Sur Twitter, les deux sports apparaissent dans l’ordre inverse : 29,2% pour le tennis, 18,4% pour la Formule 1. Il est assez surprenant de constater que, malgré l’écart considérable entre le football et les autres sports en ce qui concerne le contenu des réseaux sociaux, le pourcentage le plus élevé de commentaires contenant des propos haineux n’a pas été relevé dans le football. Sur Facebook, il s’agit de posts liés au volley-ball (12,7%), suivi de près par le football (12,4%), puis par la Formule 1 (12%). Sur Twitter, cela concernait le basket-ball (30,8%), suivi du football (20,4%) et du volley-ball (20,2%).

L’étude se termine par une série de recommandations visant à lutter contre les discours de haine en ligne dans le domaine du sport. Les chercheurs ont identifié cinq domaines d’action principaux :

1) la sensibilisation et l’éducation ;

2) les politiques de modération des contenus ;

3) la collaboration entre les entreprises de réseaux sociaux et les institutions ;

4) la surveillance et l’analyse des données ;

5) la participation et l’interaction positives.

 

L’enjeu de l’éducation aux médias numériques

 

La recherche produite par l’Université de Turin constitue un outil complet et précieux qui devrait être utilisé dans les écoles et ailleurs, dans le cadre de campagnes et d’initiatives d’éducation aux médias numériques. Malheureusement, les programmes d’éducation aux médias demeurent trop rares, et pas seulement en Italie. L’éducation aux médias numériques, qui est aujourd’hui un élément clé des programmes d’éducation aux médias, ne consiste pas à censurer des contenus et à interdire des comptes, même si ces mesures s’avèrent souvent nécessaires. Lorsque c’est le cas, le mal est déjà fait. Il s’agit d’intervenir en amont, en fournissant les outils nécessaires à une réflexion critique sur la manière dont nous accédons aux médias numériques, dont nous les consommons et dont nous nous y engageons. Le sport est un espace propice à l’apprentissage parce qu’il suscite une réaction émotionnelle.

Les utilisateurs passent peut-être trop de temps dans des environnements virtuels, mais dans les contextes éducatifs, on ne tient pas suffisamment compte de ce que les utilisateurs vivent en ligne. Les utilisateurs de tous âges devraient pouvoir comprendre clairement la différence entre la liberté d’expression, qui encourage le débat, et le discours de haine, qui favorise délibérément les conflits. L’immense portée des réseaux sociaux dans le monde d’aujourd’hui ne s’accompagne manifestement pas d’une connaissance adéquate de leur impact sur les individus et la société.

 


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Lire le précédent article de la semaine :

De l’utilité environnementale du sport
Un article de Didier Lehénaff, Membre du Comité scientifique de Sport et Citoyenneté

 





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