Réinventer l’avenir du sport et développement

Par Paul Hunt, Chef de projet sportanddev – La Plateforme internationale pour le sport et le développement et Ben Sanders, Consultant en développement.
Traduction : Hélène Bennès, Consultante pour la version francophone de sportanddev.

 

 

Notre partenaire sportanddev a lancé un appel à articles concernant l’avenir du sport et développement. Ils ont reçu un nombre record de réponses de la part de leur communauté, reflétant un besoin de réinventer le rôle du sport. 

 

« Le sport doit changer. C’était vrai avant le coronavirus et ça le sera encore bien après ». – SchweryCade

La pandémie de coronavirus ayant profondément affecté le sport, y compris les championnats professionnels et les compétitions, beaucoup ont commencé à s’interroger sur le rôle du sport dans la société. Devrions nous chercher à revenir à la normale ? Est-il temps pour le sport de changer ? Que faut-il entreprendre ?

Nous avons lancé un appel à articles relatif à l’avenir du sport et développement, lié au futur du sport lui-même. Nous avons invité notre communauté à nous soumettre des contributions concernant une variété de sujets tels que :

  • Le sport doit-il changer pour mieux servir la société ? Si oui, pourquoi et comment ?
  • Que peuvent améliorer les acteurs du sport et développement à l’avenir ?
  • Comment le sport peut jouer un rôle plus important en contribuant au développement et à la paix ?
  • Pouvons-nous repenser le rôle du sport ? Existe-t-il d’autres utopies réalistes pour le sport ?
  • Pouvons-nous résoudre les conflits et les contradictions inhérents au sport ? Si oui, comment ?

Thèmes communs

Les articles se sont focalisés sur le besoin de réinventer le rôle du sport et du sport au service du développement, dans une optique de #buildbackbetter pendant et après la crise du COVID-19. Voici un aperçu des thèmes communs aux 55 articles.

 

Construire un sport au service du développement et un secteur du sport plus équitable et plus inclusif

« Pour sortir plus forts de cette crise, il est nécessaire de reconnaître et d’aborder les inégalités inhérentes aux sports qui discriminent sur la base du corps, du genre, de la sexualité, de l’âge, des capacités, de la caste, de la race, de la tribu, de la classe sociale et de la religion ». – Madhumita Das et Sanjana Gaind, activistes, défenseurs des droits et consultants

Un article a souligné que le sport et le coronavirus ont une chose en commun : ils sont tous les deux parfois décrits comme un « grand niveleur ». Certains disent que le coronavirus nous affecte tous de la même manière, indépendamment de notre rang, de notre religion, de notre race, de notre situation financière et d’autres caractéristiques, et les personnes soutiennent également que ces choses n’ont pas d’importance sur les terrains de sport. Mais ce n’est pas le cas. Les pauvres et les marginalisés sont plus exposés durant la crise du COVID-19, et ils sont aussi plus susceptibles d’être laissés pour compte dans le domaine du sport.

Les auteurs ont mis l’accent sur le besoin de combattre les inégalités actuelles au sein du sport au service du développement. La crise signifie que les ressources sont limitées et elles le seront pendant un certain temps. Nous devons veiller à ce que cela ne mène pas à l’annulation des acquis antérieurs (p. ex. en ce qui concerne le sport féminin).

Women Win a présenté six actions afin de rendre le sport au service du développement pertinent à l’échelle internationale, et plus équitable, inclusif et adapté aux besoins locaux :

  • Maintenir le cap – se concentrer sur les plus vulnérables afin de ne pas perdre les acquis sociaux ;
  • Agir local, alimenter le monde – veiller à ce que les programmes sportifs répondent aux besoins des communautés tout en créant des réseaux virtuels pour le partage des ressources et des connaissances à échelle internationale ;
  • Leapfrog – tirer parti de la technologie à notre avantage ;
  • Créer des alliances inhabituelles et prévoir de multiples nouvelles réalités ;
  • Anticiper ce qui est prévisible – se concentrer sur la résilience économique et les traumatismes ;
  • Défendre, défendre, défendre un écosystème sain pour le sport au service du développement.
Investir dans le sport de masse et dans le sport au service du développement

« La pandémie offre une occasion unique de ré-évaluer le secteur sportif dans son ensemble, d’en revoir les modèles de soutien et d’investissement, et d’innover afin d’ouvrir la participation sportive et ses bénéfices associés à une plus grande partie de la communauté. » – Ruth Jeanes and co., Université Monash, Université Edith Cowan, Université Victoria et Université d’Amsterdam.

Les auteurs ont à maintes reprises mis l’accent sur la nécessité de « revenir aux racines ». Cela implique d’investir davantage dans le sport de masse et les initiatives relatives au sport au service du développement qui procurent un accès et des opportunités pour tous. Ce faisant, il est important d’accorder une attention particulière aux groupes marginalisés comme les femmes et les filles, les personnes en situation de handicap, les migrants et les réfugiés, et les personnes non conformes aux stéréotypes de genre.

Les auteurs ont souligné le besoin d’investir dans le renforcement des capacités des organisations et des acteurs sportifs locaux en matière de sport au service du développement, y compris les entraîneurs communautaires. Les articles ont également mis l’accent sur la nécessité de développer les compétences et les habilités de la jeunesse. Les contributeurs ont appelé à une plus grande reconnaissance du potentiel du sport informel dans la promotion de l’inclusion et la construction de communautés plus fortes et prospères.

Un article a aussi souligné le rôle des jeux autochtones en contribuant au rétablissement post COVID-19. Il s’agit d’activités récréatives traditionnelles trouvant leur origine dans un groupe culturel ou une communauté particulière. Ils existent dans de nombreux pays – dont l’Inde- mais sont souvent marginalisés.

 

La nécessité de changer le sport d’élite

« Que le monde du sport revienne à la recherche de perfection sans compromis, surfinancée et surdotée en termes de ressources qui est devenue le modus operandi des organisations sportives dans le « monde développé » semble, au mieux, malavisé, au pire, un peu vulgaire. » – Tim Harper, Equity Sport

Les réponses à l’appel à articles comprenaient des critiques quant à l’importance excessive accordée au sport d’élite et à la performance. Les ressources sont allouées de manière disproportionnée au sport professionnel et aux récompenses qui y sont associées. Certains auteurs ont avancé que le sport d’élite ne répondait pas de façon adéquate aux besoins de la société et renforçait les inégalités.

Les organismes sportifs doivent améliorer leur gouvernance, leur transparence et leur leadership, et mettre l’accent sur la durabilité et la responsabilité sociale. Cela pourrait contribuer à rétablir la confiance dans le sport, qui a souvent été considéré comme égoïste, incohérent et motivé par le profit plutôt que par les gens et la planète.

 

Se concentrer sur les personnes et les communautés, et non pas sur le sport en tant que tel

« Le sport, en tant que phénomène humain et social, est irremplaçable. Alors pourquoi ne pas en parler davantage ? Pourquoi ne pas nous apprêter à créer un avenir qui engloberait plus que les actifs du sport et irait au-delà des graphiques et des feuilles de calcul de l’industrie du sport ? » – Marjorie Enya, International Olympic Academy et Brazilian Rugby Union

Un thème commun concernait le besoin de prioriser les politiques et les programmes axés sur le développement des individus et des communautés à travers le sport plutôt que sur le sport lui-même. Bien qu’il y ait des chevauchements entre le développement à travers le sport et le développement du sport, il est important d’en reconnaitre les différentes orientations et d’assurer que les besoins de la communauté sont prioritaires. Une approche ascendante du sport et du sport au service du développement est nécessaire afin d’égaliser les chances.

Si nous avons vraiment l’intention de prioriser le développement à travers le sport, alors il est temps de changer la manière dont nous voyons et dont nous célébrons le sport. Le sport ne devrait pas seulement être pris au sérieux quand le sport lui-même est sérieux (c.à.d. basé sur l’élite, la compétition et la performance). Le sport de masse et le sport au service du développement restent tout aussi importants, nous rappelant que le sport est humain. L’industrie du sport est en pause, mais cela ne signifie pas que le sport et l’activité physique ont complètement cessé, et certaines activités de sport au service du développement sont plus essentielles que jamais.

 

Unir les différentes approches et les différents acteurs

« Le temps est venu de rechercher un meilleur avenir pour les individus et la planète en général. En adhérant à l’Agenda 2030 des Nations Unies et en utilisant les ODD comme boussole pour les programmes sportifs et les politiques de développement, toutes les parties prenantes ont l’opportunité de contribuer à cette dynamique positive. » – Sophie Spink et Mark Abberley, Portas Consulting

S’il est utile de reconnaitre les distinctions entre les différentes formes de sport, les auteurs ont également fait valoir que l’intégration du sport au service du développement, le sport pour tous, et le sport d’élite en tant que secteur unifié contribuerait plus efficacement à ce que le sport joue un rôle dans le développement, notamment en ce qui concerne les ODD en tant que cadre collectif.

Cela est lié à une question plus large. Le sport au service du développement devrait-il se considérer comme un secteur distinct ? Ou bien s’agit-il plutôt d’une méthodologie et d’une approche qui utilise le sport pour promouvoir des résultats au-delà du terrain de jeu ? De plus grandes synergies entre les acteurs du sport au service du développement, les structures sportives traditionnelles comme les fédérations, le secteur public et les institutions de développement sont nécessaires pour que ces approches soient plus largement utilisées et acceptées.

 

Faire de l’égalité des sexes une priorité

« Mon espoir […] est que le mouvement du sport au service du développement ne considèrera pas seulement cette question comme une occasion pour nous, mais en fin de compte comme une priorité majeure. J’espère cela nous fera assumer la responsabilité d’enseigner à la plus grande partie de la population qui pratique le sport (les adolescents de sexe masculin) comment vivre dans des sociétés pacifiques et sûres, non pas seulement pour les hommes, mais pour tous. » – Jon Hamilton, Inspire Football Foundation

Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement menacées pendant et après la crise actuelle. Un article a souligné le fait que les structures qui contrôlent les femmes se sont renforcées pendant la période de confinement. Les taux de violence domestique ont augmenté, et l’éducation sexuelle, les contraceptifs, les avortement sécurisés et autres services relatifs à la santé reproductive sont limités. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, le confinement dû au COVID-19 pourrait entrainer des millions de grossesses non désirées s’il se prolonge sur plus de six mois.

Les auteurs ont mis l’accent sur le fait que des mesures doivent être prises pour prévenir la violence de genre et garantir que les progrès antérieurs en matière d’égalité des sexes ne soient pas perdus. Ils ont fait valoir que le sport doit jouer un rôle transformateur en s’attaquant aux stéréotypes de genre et en promouvant l’égalité.

Ils ont aussi exhorté les hommes à jouer un rôle plus important dans la promotion de l’égalité de genre et la prévention des abus envers les femmes. Les adolescents de sexe masculin représentent la population qui pratique le plus de sport dans de nombreux pays. Le sport peut donc être particulièrement utile pour éduquer les garçons quant à la prévention de la violence et les droits des femmes.

 

Adapter et considérer de nouveaux modèles de prestations

« La demande pour le sport ne diminuera pas ; la question est de savoir comment nous allons offrir le sport. » – Professor Hans Westerbeek, Université Victoria

Les interactions directes sont au cœur de la plupart des programmes du sport au service du développement, mais la crise actuelle les a entravés de manière significative. Les organisations du sport au service du développement et de la paix doivent continuer à s’adapter et à innover, en considérant de nouvelles approches.

Cela implique d’utiliser la technologie et les réseaux sociaux pour élargir la portée et l’impact du travail du sport au service du développement à l’avenir. Nous avons besoin d’avoir une vision plus large du sport, au-delà des activités physiques et compétitives. Les jeux de société et autres activités récréatives intellectuelles ont montré des effets positifs sur la capacité cognitive et la santé. Les sports électroniques méritent également une plus grande considération.

Par ailleurs, il est clair que le sport, et les organisations de sport au service du développement, doivent être mieux préparés aux catastrophes et aux situations d’urgence. Cela devrait impliquer une meilleure planification afin d’orienter les efforts de secours, d’intervention et de rétablissement.

 

Utiliser le sport pour lutter contre les problèmes de santé mentale et les traumatismes

« Pour le sport, c’est le moment de guérir. Jamais dans son histoire, nous n’avons vu un moment où le sport est plus nécessaire. » – Lou Bergholz, Edgework Consulting

Avec une telle attention portée à la santé physique et à la relance économique, il y a un risque pour que la réponse au COVID-19 ne prête pas assez attention à la santé mentale. La crise exacerbe les problèmes de santé mentale, en particulier parmi les groupes vulnérables. Les acteurs du développement international sous-estiment souvent l’importance des programmes de soutien psychosocial, et ils peuvent hésiter à supporter ce type de travail car ils considèrent que l’impact est difficile à mesurer.

Mais le sport peut jouer un rôle essentiel dans la guérison, en utilisant des approches tenant compte des traumatismes afin de promouvoir la santé mentale et le rétablissement. Les bienfaits thérapeutiques du sport seront particulièrement importants.

Et la crise actuelle ne rend pas nécessairement les activités sportives et récréatives impossibles. Certaines approches et certains jeux peuvent être utilisés sans rompre les directives en matière de distanciation sociale, ce qui signifie qu’il est toujours possible de mener des programmes de soutien psychosocial.

 

Investir dans l’enseignement, l’apprentissage et la recherche

« Éduquer nos jeunes quant à la manière dont le sport peut améliorer et affecter leur corps, leur esprit, leurs relations et les communautés peut vraiment transformer la façon de penser de la nouvelle génération. » – Rhonda Clarke-Goden, Université de Trinidad et Tobago

L’enseignement, l’apprentissage et la recherche restent des éléments fondamentaux importants pour éduquer et soutenir le mouvement du sport au service du développement. Rendre le sport plus présent au sein des institutions éducatives peut permettre l’émergence de nouvelles figures de proue dans ce secteur.  Après tout, les étudiants représentent le futur et doivent être engagés de manière critique. Il devrait y avoir davantage de diplômes sportifs, de séminaires éducatifs, d’ateliers consacrés aux compétences de la vie quotidienne et de séances communautaires en petits groupes. Il est essentiel de combiner les formations avec des possibilités de stages et de bourses. Les partenariats entre universitaires et praticiens peuvent contribuer à combler les écarts entre la théorie, la politique et la pratique.

De plus grandes synergies entre le sport et le monde universitaire peuvent élargir l’usage du sport dans l’éducation, tandis que l’utilisation de la science et des approches issues du sport d’élite peut nous aider à mieux mesurer et comprendre l’impact du sport au service du développement.

 

Transformer les défis en opportunités

« Le futur devrait être prometteur pour ceux qui, dans le sport au service du développement, se sont montrés à la hauteur et ont offert aux autres une voie et un leadership à suivre afin de montrer la vraie valeur du sport à la communauté. » –  George Halkias, Street Soccer Movement et Big Issue Community Street Soccer Program

La crise actuelle présente des défis et des opportunités. Une récession économique mondiale se traduira par des ressources encore plus limitées, y compris parmi les organismes sportifs et les bailleurs de fonds. Les choses pourraient bien empirer pour le secteur du sport au service du développement. Comme l’a déclaré Lauren Schwaar : « Il existe une réelle possibilité qu’un événement aussi cataclysmique que le COVID-19 puisse créer un schisme encore plus large entre un sport de haut niveau déjà établi et le sport émergent, en raison de l’épuisement des ressources ».

L’avenir du sport au service du développement pourrait être en jeu, en particulier pour les acteurs plus petits et moins bien dotés en ressources qui pourraient avoir du mal à s’adapter et à survivre. Cela pourrait même consolider le pouvoir et les ressources entre les mains de quelques-uns, renforçant ainsi les inégalités actuelles dans l’écosystème sportif mondial. Pour lutter contre ce phénomène, les acteurs du sport au service du développement doivent se mobiliser afin que leurs actions soient considérées comme essentielles dans les efforts de secours, d’intervention et de rétablissement, et au-delà. Cela implique un engagement plus important de la part des donateurs, des partenaires et des gouvernements. A cet égard, nous saluons la création d’un fonds de secours (Sport for Good Relief Fund) par Laureus et d’autres partenaires. D’autre part, la crise actuelle offre l’occasion au secteur du sport au service du développement d’accroître sa visibilité. Alors que le sport d’élite a globalement été mis sur pause, de nombreuses organisations de sport au service du développement sont directement impliquées dans les efforts de secours. Ces acteurs ont innové et adapté leur programmation, et ils continuent d’engager les communautés. C’est l’occasion de gagner en reconnaissance et en visibilité, d’illustrer la valeur et la viabilité des politiques et programmes de sport au service du développement et, en fin de compte, de promouvoir l’utilisation généralisée de ces approches.

En fait, cette crise pourrait engendrer des résultats positifs. Cela concerne la localisation du sport et de l’activité physique et les tendances (c.à.d. l’exercice régulier à domicile) qui pourraient se poursuivre au-delà de la pandémie et procurer aux communautés un moyen d’être plus actives physiquement, engagées et en bonne santé.

Quoi qu’il en soit, il est clair que le sport au service du développement doit être planifié et mobilisé en vue d’une « nouvelle normalité ». Il n’est pas question de revenir à la normale, et il est urgent de réduire les risques et de renforcer les opportunités.





Sport et citoyenneté