La reconversion des sportifs de haut niveau est un vrai sujet
7 mai 2012
Alain Ghibaudo
Fondateur, cabinet de recrutement SportCarrière.
Réflexion proposée dans le cadre de la revue Sport et Citoyenneté de mars 2012 « Sport et emploi en Europe »
Propos recueillis par Julian Jappert, Directeur et Sylvain Landa, Rédacteur en chef, Think tank Sport et Citoyenneté.
Ancien consultant en ressources humaines, passé par Oracle Consulting et le groupe Pinault-Printemps-Redoute, Alain Ghibaudo fonde en 2001 le cabinet de recrutement SportCarrière, le seul à se positionner à 100% sur la thématique « Sports & Entertainment ». Membre du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté, c’est en expert avisé qu’il participe à la réflexion lancée par notre Think tank sur l’emploi sportif en Europe.
Quel est votre parcours et votre cœur de métier aujourd’hui ?
AG : J’ai un cursus en ressources humaines pur et dur. Après des études en économie et en commerce à l’Université d’Aix-en-Provence II, j’ai effectué un magistère en développement des ressources humaines à l’Université de Lille I. J’ai rejoint ensuite le monde du consulting chez Oracle, en France et en Grande-Bretagne puis terminé ma carrière de salarié chez Pinault-Printemps-Redoute, un groupe très impliqué dans le sport, qui détient notamment le Stade Rennais Football Club, Puma et Made in Sport.
Rugbyman depuis 30 ans et ancien moniteur de ski, j’ai souhaité associer ma passion à mon métier. J’ai donc décidé d’être le précurseur du secteur en créant le premier cabinet 100 % Sports & Entertainment en Europe. Aujourd’hui, nous avons deux cœurs de métier : la diffusion d’offres d’emploi et de formation dans le domaine du sport à travers notre site internet SportCarrière et l’activité classique d’un vrai cabinet de recrutement par annonce et approche directe (chasse), avec une spécificité, l’univers du sport et de l’Entertainment. Nous travaillons essentiellement dans l’évènementiel, avec des agences de communication et de marketing sportif, des médias, des ligues professionnelles (Ligue de Football Professionnel, Ligue National de Rugby, Ligue National de Basket-ball), des fédérations (Fédération Française de Tennis, Fédération Française de Sports Automobiles, Fédération Française de Football, Fédération Française de Golf, Fédération Française de Badminton, etc.) et les sports professionnels, essentiellement le football et le rugby.
Au niveau européen, nous avons ouvert avec des partenaires locaux une filiale en Italie en 2009, afin d’accroître notre réseau, notre activité et accompagner certains de nos clients dans des pays stratégiques pour leur activité.
En tant que spécialiste des ressources humaines, trouvez-vous que l’univers du sport soit un secteur d’activités spécifique ?
AG : Plus ou moins. C’est un univers qui est assez similaire à d’autres secteurs d’activités, si ce n’est le fait qu’on ne s’improvise pas « expert » du sport du jour au lendemain. Il faut avoir une certaine légitimité et expertise, et surtout un vrai réseau. C’est ce que nous nous attachons à développer et entretenir à travers notre propre média, et notre présence accrue sur de nombreux événements, colloques et Think tanks. C’est un milieu qui nécessite une certaine connaissance et expertise : on parle de marketing du sport, de droit du sport, de fiscalité liée aux spectacles, d’Entertainment etc. Pour cela, il faut un « background » spécifique.
Mais les choses changent. Pour certains métiers et à la demande de certains de nos clients, on va parfois chercher des profils dans des grands groupes du CAC40. L’objectif est alors d’apporter une vision stratégique et une expertise bien particulière.
Vous disiez que vous venez d’ouvrir une filiale en Italie. Constatez-vous des différences entre les pays européens sur le marché de l’emploi sportif ?
AG : On a eu l’occasion de travailler aussi sur l’Espagne, la Belgique, la Suisse et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, le marché du sport est vraiment structuré autour des pays anglo-saxons et de la France. Dans les pays méditerranéens tels que l’Espagne et l’Italie, il y a un marché mais les processus de recrutement sont différents, et la conjoncture économique est très difficile pour les pays du sud de l’Europe. En France, on passait le plus souvent par des cabinets de recrutement généralistes. Et c’est là où on a voulu changer les mentalités. Nous avons pris notre bâton de pèlerin et nous sommes allé prêcher la bonne parole auprès des entreprises et des institutions en disant que nous voulions professionnaliser cet univers, rassembler les compétences autour de notre réseau, de notre expertise et de notre parfaite connaissance des enjeux, des acteurs référents et du tissu économique de secteur.
En Italie, nous sommes arrivés au plus mauvais moment, celui de la crise de 2009. Cela ne nous a pas facilité la tâche. Les mentalités sont aussi différentes : l’Italie est un pays latin, qui fonctionne avant tout par réseau. C’est un travail de longue haleine que de professionnaliser ce secteur.
Je ne maîtrise pas forcément l’ensemble des autres pays européens, et à ma connaissance il n’y a pas d’autre cabinet de recrutement spécialisé « Sports et Entertainment» en Europe, excepté en Grande-Bretagne. Ce sont des pistes intéressantes à explorer. Tout comme le marché asiatique et celui du Moyen-Orient, qui se professionnalisent énormément.
Un mot sur la reconversion des sportifs de haut niveau. C’est un sujet majeur qui intéresse à la fois les autorités sportives et le secteur économique. Quel est votre point de vue sur cette question ?
AG : C’est un sujet qui revient chaque année et je n’ai pas l’impression que les pouvoirs publics se donnent réellement les moyens de leurs ambitions. Il y a en fait deux catégories de publics chez les sportifs de haut niveau : ceux qui évoluent dans le monde professionnel (essentiellement les sports collectifs) et ceux qui évoluent dans un sport moins médiatique, qui sont plus des sports individuels et olympiques. L’INSEP essaye de faire un travail avec ses athlètes, de préparer leur avenir, grâce à un système de double formation efficace, mais un peu isolé à mon sens. De leur côté, les clubs professionnels ont aujourd’hui d’autres exigences vis-à-vis de leurs salariés. Disons qu’ils privilégient la performance sportive à l’accompagnement et à la reconversion. De bonnes initiatives existent néanmoins. Dans le rugby professionnel, Provale (l’Union des joueurs professionnels de rugby) et l’agence XV accompagnent ainsi les joueurs en leur permettant de définir un projet, de suivre des formations et de favoriser leur accès à l’emploi, en les responsabilisant puisque ces athlètes participent financièrement. C’est une manière de les impliquer un peu plus en les incitant à « mettre la main à la poche ». Mais c’est une activité qui reste assez isolée. Aujourd’hui, je n’ai pas vraiment l’impression qu’il y ait une réelle volonté des pouvoirs publics d’avancer sur le sujet. Depuis plus de dix ans que je suis dans cet univers, je n’ai pas vu d’institution majeure qui se soit occupée de cela. Il y a bien une ou deux personnes en charge de ce sujet. Chaque année, il y a quelques personnalités et/ou politiques qui soulignent l’importance de ces reconversions. C’est de bon ton d’aborder ce sujet. Toutefois, ce ne sont que des effets d’annonces. Il y a bien quelques initiatives isolées de mettre en exergue cette problématique à travers deux ou trois tables rondes ou conférences qui traitent du sujet, mais in fine, il n’y a pas de réelles mesures, ni de réelles actions d’envergures.
N’est-ce pas le moment d’agir ?
AG : Certainement. Je pense que les pouvoirs publics devraient se mettre autour d’une table avec les acteurs du sport professionnel, qu’ils soient issus des ressources humaines ou des cabinets spécialisés, mais aussi des instances qui gèrent les intérêts des sportifs de haut niveau, pour essayer de trouver le meilleur système possible. C’est un sujet pour lequel on a besoin d’argent, mais sur lequel on pourrait aussi impliquer les grands groupes, qui s’impliquent de manière marginale chacun dans leur coin. Ils pourraient être prêts à prendre sous leur aile, sous forme de conventions tripartites par exemple, certains athlètes de haut niveau avec un système de tutorat en interne qui valoriserait à la fois l’entreprise, mais aussi les salariés du Groupe qui accompagneraient ces athlètes. Vous imaginez par exemple la fierté d’un comptable d’une entreprise tuteur d’un athlète à qui il apprend son métier, lorsqu’il regarderait devant son écran cet athlète disputer les Jeux Olympiques. Vous imaginez également en termes de communication interne l’émulation pour une entreprise et tous les aspects positifs notamment sur le climat social. Cela valoriserait les entreprises et permettrait aux athlètes, grâce à un aménagement des horaires de travail, de mettre un pied dans le monde de l’entreprise avant même la fin de leur carrière. Il faut réfléchir aussi à la création d’une vraie école dédiée aux athlètes de haut niveau, qui pourrait être installée en région parisienne avec le concours de plusieurs grands groupes. Une université du sport, sur le modèle de l’INSEP, mais à l’audience plus large, pas seulement réservée aux disciplines olympiques. Car c’est quand même plus la performance sportive qui régit aujourd’hui ce genre de structure que la pré-carrière ou la reconversion des sportifs de haut niveau. J’attends ce moment-là avec impatience. Les athlètes de haut niveau nous divertissent et ont parfois la chance et le talent de porter haut les couleurs de leur pays, aussi, les institutions et les acteurs du sport (publics et privés) ont le devoir de les accompagner vers leur nouveau projet de vie professionnel, dans leur reconversion et cela de manière « longitudinale », c’est-à-dire : avant, pendant et à la fin de leur carrière d’athlète.