Que seraient des Jeux Olympiques et Paralympiques réussis pour les personnes en situation de handicap ?
Par Lydie COHEN, membre du comité scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté, Juriste Doctorante Centre de Droit et d’Économie de Sport / Cabinet LLC & Associés
Près de 15% de la population mondiale, soit environ 1 milliard de personnes, vivent à l’heure actuelle avec un handicap[1]. Elles représentent ainsi la plus importante minorité du monde. La question du handicap, souvent oubliée, nous concerne pourtant tous et sa prise en compte dans l’organisation de manifestations sportives d’envergure constitue un réel enjeu d’intérêt général, à plus forte raison dans un contexte de vieillissement de la population.
Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), par leur ampleur et leur impact ne peuvent échapper à la question du handicap, d’autant plus qu’une partie de l’évènement est consacrée aux compétitions des sportifs handicapés. Cette manifestation majeure constitue donc l’opportunité d’apporter un nouveau souffle à la problématique du handicap ainsi qu’une meilleure prise en considération. A ce titre, le comité de candidature de Paris 2024 n’a pas manqué de faire du handicap un atout mais surtout un moteur dans la réalisation d’un véritable héritage sociétal de l’évènement.
Dès lors, depuis le sacre de la France à Lima, la phase de mise en œuvre est enclenchée et deux axes de réflexion se dégagent pour que les Jeux de Paris 2024 soient un succès pour les personnes en situation de handicap. Le droit pourrait d’ailleurs en être l’un des indicateurs de réussite. En effet, le respect de l’obligation d’accessibilité universelle de la cité comme des transports, est d’une part, susceptible de conditionner la fréquentation de l’évènement par les spectateurs handicapés. La visibilité des Jeux pour les sportifs paralympiques pourrait, d’autre part, constituer un levier au bénéfice de l’égalité des droits et la lutte contre les discriminations. En tout état de cause, le handicap réinterroge les pratiques et pourrait bien initier, in fine, une réflexion sur l’avenir des Jeux Olympiques et Paralympiques.
L’accessibilité des Jeux Olympiques et Paralympiques pour les spectateurs en situation de handicap
Pour que les JOP 2024 soient une grande fête citoyenne, encore faut-il que tout le monde puisse s’y rendre et y assister. L’enjeu réside ici dans la garantie d’une accessibilité universelle à l’évènement. Que ce soit au titre de la voirie, des transports, des équipements comme du spectacle, l’accessibilité apparait en effet comme la condition sine qua non au respect des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap. D’autant plus qu’elle constitue une obligation légale.
A ce titre, la loi du 11 février 2005 imposait déjà, dans un délai de 10 ans, la mise en accessibilité de la cité, des établissements recevant du public ainsi que des transports collectifs. La France a d’ailleurs réaffirmé cet engagement en ratifiant la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées en 2010. Or, le retard de la France en la matière est perceptible et l’échéance olympique de 6 ans très mince pour envisager une métamorphose du tissu urbain. Il n’en demeure pas moins que l’accessibilité de la chaine de déplacement et des équipements conditionneront la fréquentation de la manifestation par les spectateurs en situation de handicap.
Si à l’impossible nul n’est tenu, y compris dans le cadre d’un évènement sportif d’une telle envergure, l’anticipation et la recherche de solutions alternatives innovantes par les organisateurs pour pallier les obstacles qui subsisteront en 2024, contribueront à garantir aux personnes handicapées leur droit de jouir d’une citoyenneté sportive pleine et effective.
La visibilité des Jeux Olympiques et Paralympiques pour les sportifs en situation de handicap
La visibilité des sportifs en situation de handicap et notamment la médiatisation des compétitions constituent un levier au bénéfice de l’égalité des droits et de la lutte contre les discriminations.
Or, le sport et handicap et particulièrement le sport adapté sont quasiment inexistant à la télévision, à l’exception des championnats du monde d’athlétisme et des Jeux Paralympiques[2]. En revanche, la couverture médiatique de ces derniers a fortement évoluée. La retransmission par France Télévision des Jeux Paralympiques de Rio en 2016 a d’ailleurs été un franc succès[4].
Les JOP 2024 constituent donc une opportunité partagée pour le secteur audiovisuel comme pour les personnes handicapées. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) considère à ce titre « qu’une bonne exposition des disciplines olympiques et paralympiques à la télévision et à la radio est primordiale pour l’accomplissement des objectifs des politiques publiques et sportives »[5]. Il rappelle également l’exemplarité dont doivent faire preuve les chaînes du service public dans la représentation du handicap[6]. Néanmoins, la contribution des médias à la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité, notamment du handicap, semble se heurter à des considérations d’ordre économique comme en témoigne le désintéressement des chaînes privées.
Le rayonnement des Jeux Paralympiques pourrait ainsi, outre un changement de regard sur le handicap, faire évoluer les pratiques des diffuseurs. Dès lors, comme le préconise le rapport du Sénateur Assouline[7], une renégociation des conventions entre le CSA et les éditeurs de service de TV privés et notamment un renforcement de leurs obligations en matière de représentation de la diversité de la société, pourrait être un outil au service du sport et handicap notamment dans le contexte des JOP 2024.
Pour autant, à l’heure actuelle, il est regrettable que les Jeux Paralympiques ne soient pas inscrits sur la liste du décret du 22 décembre 2004 relatif à la diffusion des évènements d’importance majeure[8]. Outre l’aspect symbolique, cette inscription assurerait la couverture de cette compétition au grand public, sur les chaines en clairs.
Enfin, la concurrence des GAFAN (Google – Youtube, Apple, Facebook, Amazon, Netflix) et leur immixtion sur le marché des droits audiovisuels sportifs pourraient éventuellement contribuer à ce que les géants du Web se saisissent de la diffusion du sport paralympique et améliorent ainsi l’exposition des sportifs en situation de handicap.
En tout état de cause, on peut penser que plus la visibilité des athlètes handicapés sera effective, plus l’héritage culturel de la manifestation sera garanti.
A quand des Jeux Olympiques et Paralympiques unitaires ?
Si l’une des ambitions des JOP 2024 est d’organiser des Jeux inclusifs[9], l’actuel modèle organisationnel du Comité International Olympique (CIO) et du Comité International Paralympique (IPC), fondé sur la distinction entre Jeux Olympiques et Jeux Paralympiques, apparait paradoxalement comme discriminant. Ce microcosme sportif révèle ainsi que l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap n’est encore qu’artificielle.
Or, la préservation de l’équité des compétitions peut en effet limiter la conception d’épreuves dites mixtes (handicapés/valides)[10]. Pour autant, rien ne semble faire obstacle à ce que la programmation des compétitions soit, quant à elle, réellement inclusive. Ainsi, malgré les avancées réalisées en faveur des sportifs en situation de handicap, repenser l’évènement et concevoir des Jeux unitaires constituent de véritables enjeux pour l’inclusion.
A ce titre, une évolution de la lex olympica aurait été opportune pour que les JOP 2024 soient exemplaires et marquent véritablement l’histoire du sport. Or, sans innovation ni audace, les Jeux Olympiques et Paralympiques qui se veulent inclusifs ne le seront jamais réellement. Les mots de Nelson Mandela trouvent ici un véritable écho, « Cela semble impossible jusqu’à ce qu’on le fasse ».
[1] OMS, Banque mondiale, Rapport mondial sur le handicap, Bibliothèque de l’OMS, 2011, p 50
[2] David ASSOULINE, Rapport « le sport à la télévision en France, pour l’accès au plus grand nombre, pour la diversité des pratiques et des disciplines exposées », septembre 2016, p26
[3] La retransmission des Jeux Paralympiques a progressé de seulement 3 heures d’antenne pour les Jeux de Pékin en 2008 à 35 heures pour les Jeux de Londres en 2012.
[4] Si les Jeux Olympiques ont attiré 40 millions de téléspectateurs pour près de 700 heures d’antennes, 13,6 millions de français ont regardé au moins un quart d’heures des Jeux Paralympiques pour 100 heures de direct selon les chiffres Médiamétrie.
[5]CSA, rapport Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, enjeux et opportunités pour le secteur de l’audiovisuel, février 2018 p17 : https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Thema-Toutes-les-etudes-realisees-ou-co-realisees-par-le-CSA-sur-des-themes-specifiques/Les-etudes-du-CSA/Jeux-olympiques-et-paralympiques-Paris-2024-Enjeux-et-opportunites-pour-le-secteur-de-l-audiovisuel.
[7] David ASSOULINE, Rapport « le sport à la télévision en France, pour l’accès au plus grand nombre, pour la diversité des pratiques et des disciplines exposées », septembre 2016, p84 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/164000709/index.shtml.
[8] Décret n°2004-1392 du 22 décembre 2004 pris pour l’application de l’article 20-2 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, au sujet de la diffusion des événements d’importance majeure.
[9] Paris 2024, dossier de candidature phase 1, p37 : https://paris2024.org/medias/bb1_fr_2017-digital150_0_1.pdf
[10] A l’exception de l’inclusion de certains sportifs, tels que Pistorius, dans les compétitions olympiques.