Les pratiques d’organisation des manifestations sportives sont à repenser
1er décembre 2014
Didier Lehénaff
Président fondateur de SVPlanète
Membre du comité scientifique de Sport et Citoyenneté
Réflexion proposée dans le cadre de la revue Sport et Citoyenneté n°28 dossier spécial « Sport, Santé, Environnement »
Propos recueillis par Sylvain Landa et Joseph Rothwell
Enseignant en éducation physique et sportive, Didier Lehénaff est l’initiateur des Eco-Games, Jeux éco-sportifs alternatifs organisés depuis 2004 au Brésil, en Europe et en Afrique. Il préside depuis 10 ans l’association SVPlanète, qui œuvre à mettre le sport au service de l’environnement, de sa (re)découverte, de sa protection, de sa réhabilitation et de son embellissement.
Votre réflexion est fondée sur les liens unissant le sport, la santé et l’environnement. Comment se structure cette relation selon vous ?
DL : Si on évoque la sociologie, on apprend qu’il existe trois composantes essentielles : soi, les autres et l’environnement. Je conçois le sport comme un carrefour et un point de rencontre entre l’Homme et la Planète. Pour faire simple, pratiquer un sport, c’est bon pour soi mais aussi pour la planète. Pour soi car il permet l’expression des qualités physiques mais aussi de l’intellect, et favorise le bien-être. Pour la planète, car les pratiques sportives offrent des manières de se déplacer qui sont éco-responsables (faire du vélo, courir, etc.). Malheureusement, les tendances actuelles ne suivent pas trop cette voie.
En effet, les taux de sédentarité n’ont jamais été aussi hauts. Comment inverser la tendance ?
DL : Il y a une grande différence entre les discours et la réalité. On ne cesse de rappeler qu’il faut agir, mais le premier endroit où l’on devrait intervenir, l’école, est déserté. Les programmes d’éducation physique sont particulièrement pauvres, les créneaux ne sont pas adaptés aux caractéristiques des enfants, les professeurs d’éducation physique jouissent de peu de reconnaissance… Ce déficit est renforcé par le mode de vie actuel, où les écrans ont envahi notre quotidien. On accélère leur processus de sédentarisation alors que c’est justement dans ces périodes de construction de l’enfant qu’on devrait leur inculquer le plaisir de bouger et de jouer. L’école est donc pour moi la clé car on touche les générations futures. Il est essentiel de leur transmettre les bonnes attitudes. C’est vrai pour leur santé comme pour la protection de la planète.
Vous militez pour des pratiques sportives plus éco-responsables. Qu’entendez-vous par cette notion ?
DL : L’éco-responsabilité consiste à prendre en compte les principes du développement durable dans, en l’espèce, l’organisation ou la participation aux pratiques sportives. Il n’y a pas forcément de clé pour appliquer ces principes. Selon le lieu où on se trouve, selon le moment de l’année, selon le public concerné, les solutions appliquées seront différentes.
Néanmoins, l’un des domaines où nous pouvons agir le plus fortement concerne l’organisation des manifestations sportives. On en organise 2,5 millions chaque année en France. Si on arrive à faire basculer ces profils d’organisation pour les rendre exemplaires, on fait automatiquement basculer les pratiques individuelles. Savez-vous par exemple que durant le Tour de France, 12 000 tonnes de déchets sont produites ? Que 16 millions de goodies seront distribués, dont la durée de vie est estimée à une heure trente ? Que lors du Marathon de Paris, 450 000 bouteilles plastiques, pour la plupart à moitié pleines, sont jetées par terre ? Il y a un travail de fond à effectuer auprès de tous les organisateurs, en matière de gestion des déchets et des ressources en eau, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de communication. Il faut repenser en profondeur les pratiques d’organisation des manifestations sportives. C’est sur ces questions que travaille notre association SVPlanète depuis dix ans.
Constatez-vous une évolution depuis le début de votre engagement ?
DL : Je dirai qu’aujourd’hui, la plupart des organisateurs ont aujourd’hui conscience des enjeux. C’est un préalable essentiel pour prendre ensuite la responsabilité de faire évoluer les pratiques. Nous avons développé pour cela plusieurs outils. Sur les 2,5 millions de manifestations sportives, seules un millier d’entre elles sont d’envergure nationale ou internationale. Le « défi » est d’agir sur les deux types d’événements (les grands comme les petits) ; les moyens, outils et solutions étant bien sûr différents pour y parvenir.
Les grands événements sportifs ne doivent-ils pas être aussi exemplaires, ne serait-ce que pour initier le changement de mentalités ?
DL : C’est complémentaire. Il faut agir à la fois sur la masse et sur le haut niveau. Dans un ouvrage paru il y a deux ans, nous prenions l’exemple des basketteurs des Los Angeles Lakers. Juste pour leur déplacement dans le cadre du championnat NBA, chacun d’entre eux émettait 90 tonnes de CO2, soit 45 fois plus que le seuil au-delà duquel chaque être humain contribue individuellement au réchauffement climatique…
Au-delà de cette question des déplacements, je pense que les grandes manifestations sportives peuvent montrer l’exemple. Certaines le font déjà, comme par exemple la Fédération Française de Tennis, avec les aménagements éco-responsables réalisés lors des Internationaux de tennis de Roland-Garros ou encore l’opération « Balle Jaune », qui permet de recycler les balles de tennis usagées pour les transformer en sols sportifs.
Nous avons systématiquement cette démarche dans le cadre des « Eco-Games ». En marge de l’événement, nous menons des opérations de nettoyage des plages, des zones naturelles sensibles, nous collectons du matériel qu’on offre à la population locale…
Existe-t-il des différences d’approches selon les pays ?
DL : C’est très variable. Les solutions dépendent toujours de l’environnement dans lequel on s’inscrit. Les pays d’Europe septentrionale ont par exemple une sensibilité accrue pour la nature. C’est culturel, mais c’est aussi lié à la densité démographique, aux flux touristiques, etc. Chaque pays est aussi plus ou moins strict. En Autriche par exemple, vous ne trouverez pratiquement aucun mégot de cigarette en montagne. En France, il n’est pas rare d’en trouver jusqu’à 50 000 sous le même pylône. Il revient donc, au-delà d’une réglementation supranationale qui essaierait de coordonner les politiques, d’impulser des réglementations aux niveaux national et local qui correspondent au profil et à l’image du territoire concerné.