Entretien croisé : Nathalie Loiseau et Laura Flessel
Propos recueillis par Julian JAPPERT et Sylvain LANDA
Refonder l’Europe : c’était un thème fort de la campagne d’Emmanuel Macron. Depuis son élection, le Président de la République a dévoilé plusieurs mesures destinées à rétablir la confiance des citoyens envers l’UE. Comment le sport s’intègre-t-il dans ces réflexions ? Quelles pistes d’action pour une Europe du sport renforcée ? Nous avons posé ces questions à Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères chargée des affaires européennes et Laura Flessel, ministre des Sports. Entretien croisé exclusif.
Le 3 juillet 2017, à l’occasion d’un discours devant le Congrès, Emmanuel Macron confirmait le lancement de consultations citoyennes pour refonder l’Europe. Celles-ci ont vocation à répondre au « scepticisme grandissant » vis-à-vis de l’Europe et à donner un nouveau souffle à l’idée européenne. Où en sommes-nous du processus et quelles formes prendront ces consultations citoyennes ?
Nathalie Loiseau : Les préparatifs battent leur plein et les consultations citoyennes sur l’UE seront lancées dès avril prochain. Je suis heureuse de concrétiser cette idée du Président de la République et de constater que 25 autres États nous ont rejoints. Cela démontre la volonté d’un très grand nombre d’Européens de prendre en main l’avenir de l’Union.
Pourquoi conduire de telles consultations ? Car l’UE a trop souvent été une affaire d’experts, loin du regard des populations. Je ne veux pas critiquer l’expertise : sur des sujets complexes, elle est légitime et elle restera nécessaire. Mais aujourd’hui, elle ne suffit plus car l’Union joue un rôle de plus en plus important dans la vie quotidienne de tous les citoyens, que l’on passe les frontières de la France ou non.
L’UE intervient en matière de santé et d’environnement, d’agriculture, de numérique… et aussi dans la pratique du sport, puisqu’elle soutient la mobilité des sportifs professionnels ou, grâce à des programmes comme Erasmus ou COSME, finance des initiatives comme la double carrière des athlètes ou des projets de coopération impliquant des PME du sport.
Bref, aujourd’hui, tout le monde est concerné. L’objectif, c’est de donner la parole aux Européens de tous les âges et de tous les parcours, y compris et surtout à ceux qui n’avaient pas, jusqu’alors, eu l’occasion de débattre sur l’Europe ou qui ne se sentaient pas concernés.
Faut-il plus d’Europe ? Moins d’Europe ? Une Europe différente ? Sur quels sujets ? Notre ambition, c’est d’amener les propositions qui émergeront sur la table des chefs d’État et de gouvernement à la fin de cette année. Cela contribuera, j’espère, à éclairer leurs décisions mais aussi le débat public en vue des élections européennes de 2019.
« Amener les propositions qui émergeront sur la table des chefs d’État et de gouvernement à la fin de cette année ». N. Loiseau
Le sport est le secteur associatif le plus organisé en Europe. Il fédère de nombreux bénévoles et s’inscrit pleinement dans la recherche d’une « citoyenneté active ». Le sport sera-t-il à l’agenda des consultations citoyennes à venir ?
Laura Flessel : Je réagis à la dernière observation de Nathalie Loiseau, la réflexion sur le « plus ou moins d’Europe » vaut aussi pour le sport. Et j’incline personnellement pour plus d’Europe sur plusieurs sujets qui ne peuvent trouver une réponse adéquate dans le seul cadre national. Je pense notamment à la transparence des flux financiers dans le sport, à toutes les questions relatives à l’intégrité dans le sport, comme par exemple la lutte contre le dopage.
C’est pourquoi je suis convaincue que le monde du sport, au sens large, aurait beaucoup de choses à dire sur l’UE. En effet, le sport se situe au carrefour de nombreuses politiques européennes : la mobilité transfrontalière des athlètes avec sa dimension sociale, ou encore la commercialisation des droits de diffusion à l’ère numérique, pour le sport professionnel ; la politique de la santé, quand l’accroissement de l’activité physique constitue l’un des moyens les plus efficaces pour améliorer la santé publique ; la politique de la jeunesse, quand il s’agit de favoriser les échanges internationaux ; la politique de l’éducation enfin, car le sport est un excellent vecteur pour promouvoir tolérance et lutte contre les discriminations.
Les acteurs du sport sont donc légitimes pour intervenir sur de nombreuses thématiques européennes. Et par ailleurs, je suis persuadée que le sport est un levier efficace pour renforcer l’identité de l’édifice commun que nous souhaitons reconstruire avec les citoyens européens.
NL : Comme Laura Flessel, je crois que l’Union gagnerait à s’inspirer d’idées et de valeurs que les sportives et les sportifs voudraient partager. C’est une évidence – mais il est parfois utile de rappeler les évidences – que le sport est porteur de valeurs essentielles : l’engagement et l’effort, l’esprit d’équipe, ou encore tout simplement le respect des règles du jeu décidées ensemble… si nous devons refonder l’Union ce sera, j’en suis certaine, autour de ces valeurs. Alors oui, j’espère voir émerger plusieurs évènements autour du sport et des sportifs.
Le gouvernement va labelliser des initiatives de la société civile pour donner la parole à tous les milieux sociaux-professionnels, à toutes les tranches d’âges. Des débats auront lieu à travers les territoires, mais aussi en ligne. Le milieu du sport et notamment le sport associatif est bien placé pour tirer parti de ces consultations. Si certains lecteurs souhaitent faire des propositions à ce sujet, ils peuvent écrire à cette adresse : consultations.citoyennes@diplomatie.gouv.fr
« Le sport est un levier efficace pour renforcer l’identité de l’édifice commun ». L. Flessel
Le sport est aussi un spectacle, l’un des plus suivis et des plus commentés au monde. Est-il envisagé de proposer à des personnalités sportives de devenir des ambassadeurs de l’Union, dans le cadre de ces consultations ?
NL : Ce n’est pas trahir un grand secret que de révéler qu’un grand nom de l’escrime française et par ailleurs membre du gouvernement prendra part à ces consultations.
LF : Oui, je prendrai part à l’une de ces consultations ! Il est un peu tôt pour citer d’autres noms, mais bien entendu, nous y travaillons.
Nous consacrons un dossier au thème « Villes actives ». La sédentarité ne cesse en effet de croître, et une réponse globale, adaptée à tous les environnements de vie, est nécessaire afin de promouvoir des modes de vie plus actifs. Des financements européens, dans le cadre de la politique de cohésion, sont-ils mobilisables pour accélérer cette « transition active » ?
LF : La politique de cohésion de l’UE est à ce titre un instrument précieux, qui a fait ses preuves dans l’aide à l’aménagement et au développement des territoires. Dans les zones urbaines, les fonds structurels ont permis de penser la place de la mobilité douce à l’intérieur de nos espaces de circulation dans la cité qui, il faut bien le dire, sont parfois soumis à l’agression des véhicules à moteur.
Ainsi le vélo en ville s’est fortement démocratisé mais on pense rarement que c’est aussi de l’activité physique et sportive et qu’au-delà d’être un moyen de transport, il contribue au bien-être et à la santé.
A ce jour, le sport n’a pas de place identifiée dans la politique de cohésion, mise en œuvre par les acteurs en charge de l’aménagement du territoire. Néanmoins, une véritable prise de conscience est en cours et j’ai bon espoir que le rôle du sport pour rendre les villes plus actives et plus agréables à vivre soit mieux pris en compte dans les programmes européens à partir de 2021.
Cet entretien est à retrouver dans notre revue 42: villes actives