« Les ligues professionnelles ont besoin d’une délégation durable, précise et effective »
Propos recueillis par Sport et Citoyenneté
Dans le cadre des prochaines échéances électorales, notre Think tank Sport et Citoyenneté a présenté une série de propositions sur les thématiques majeures du sport.
Dans le prolongement de cette réflexion, notre Think tank a sollicité tous les candidats à l’élection présidentielle ainsi que plusieurs parties prenantes du sport français sur leur vision du sport et sa place dans le débat politique actuel. Une série d’entretiens que nous vous proposons de découvrir dans cette rubrique.
Interview de Patrick Wolff, Président de l’Association Nationale des Ligues de Sport Professionnel (ANLSP), qui regroupe aujourd’hui les ligues de sport professionnel de football, de handball, de basket-ball, de volley-ball, de rugby et de cyclisme.
Le sujet « Sport » est assez absent de la campagne présidentielle. D’après vous, le sport mérite-t-il un débat politique ?
PW : Je pense en effet que ce sujet mériterait d’être davantage évoqué. Il est normal que l’on donne la priorité à des sujets graves et de la vie quotidienne, mais il ne faut pas pour autant négliger les « espaces de rêve » qu’offrent le sport, les arts ou encore la culture, et qui permettent quelquefois de s’évader du quotidien tant par la pratique que par le suivi des matchs des équipes de France et des compétitions nationales. On parle aussi souvent d’ascenseur social en France, et le sport en est l’un des meilleurs exemples. Notre association représente certes les intérêts du sport professionnel, du spectacle sportif, mais notre approche n’est pas simplement économique ; nous concevons avant tout le sport comme un vecteur de valeurs incontournables qui crée du lien social. En cette période agitée, nous avons bien besoin de promouvoir des lieux où les gens se fédèrent.
L’ANSLP a dévoilé 20 propositions à l’attention des candidats à l’élection présidentielle et aux élections législatives. Quelles sont les pistes de réflexions concrètes que vous souhaitez mettre en avant ?
PW : Ces propositions sont le fruit d’un travail de réflexion mené collectivement au sein de notre association. Toutes ces mesures sont essentielles, mais il est possible de dégager trois grandes thématiques.
La première concerne la gouvernance du sport. Il faut rappeler que les dispositions régissant les relations entre les fédérations et les ligues professionnelles ont été fixées il y a plus de 15 ans (loi du 6 juillet 2000). Nous pensons que ce modèle doit être conforté et modernisé afin de prendre en compte les évolutions de l’environnement et des enjeux que le sport professionnel a connu depuis le début des années 2000. Sans remettre en cause les notions liés à l’éthique et à la solidarité, la délégation de mission de service public accordée aux ligues professionnelles doit être durable, précise et effective comme vient de le rappeler le récent arrêt du Conseil d’État du 12 avril 2017. Nous appelons donc à une réforme de ces dispositions, pour assurer la pérennité et le développement des compétitions dont les ligues professionnelles ont la responsabilité. Cela passe notamment par une répartition claire des compétences entre chaque acteur. Aujourd’hui, si nous voulons attirer des investisseurs privés, il faut leur apporter des garanties, une visibilité sur le moyen terme, un cadre économique précis. Le fait que la convention qui lie une ligue professionnelle à sa fédération soit renégociée tous les 4 ans est aujourd’hui un frein, car on ne peut pas construire une politique durable de cette façon. Nous devons donc lever ce manque de visibilité qui pèse sur les ligues professionnelles, tout en réaffirmant et en maintenant le lien, capital, entre le monde professionnel et le monde amateur.
Le deuxième thème concerne les questions de compétitivité. Nous souhaitons que des dispositions soient prises pour encourager l’investissement dans les clubs sportifs professionnels, par exemple en encourageant le mécénat sportif. La France a pris énormément de retard dans ce domaine par rapport à d’autres pays. Je suis aussi favorable à ce les supporters puissent entrer au capital d’un club, à l’image des « socios » dans d’autres pays. Ce n’est pas quelque chose d’irréaliste : regardez ce que propose l’Atlético Madrid en Espagne, c’est un excellent exemple de ce qu’il est possible de faire ! Les clubs professionnels doivent avoir également les moyens d’investir dans les enceintes sportives qu’ils utilisent et avoir les moyens de les exploiter avec une vision durable.
Enfin, le dernier point porte sur la formation. Nos clubs, professionnels et amateurs, font un excellent travail pour former de jeunes joueurs, mais leur statut juridique actuel ne leur permet pas d’accéder aux mécanismes de soutien dont bénéficient la plupart des autres secteurs d’activité, comme par exemple la possibilité de collecter la taxe d’apprentissage. Je crois que la compétitivité du sport français passera notamment par sa capacité à former et à conserver le plus longtemps possible les sportifs qu’il forme. Là aussi, il faut donner des garanties aux centres de formation, sous réserve d’une exigence renforcée en matière de double formation.
Le sport professionnel est un secteur d’activités atypique, dans la mesure où un club a besoin de ses concurrents pour que la compétition soit la plus belle possible. Cet équilibre est nécessaire, et nous devons réfléchir à la meilleure façon de le garantir.
D’après vous, quel devrait être le chantier prioritaire du futur Ministre des Sports ?
PW : D’un point de vue réglementaire, certains sports en France se trouvent dans des conditions de concurrence anormales par rapport à nos voisins. Aujourd’hui, un vrai danger existe de voir certaines de nos compétitions s’exporter à l’étranger car les coûts d’organisation et les règles administratives y sont beaucoup moins lourdes. Un important travail est donc à faire en matière d’allégement des réglementations, mais aussi de modification de certaines règles européennes qui nous sont franchement défavorables.
Pour finir, un autre point capital concerne le développement du sport féminin. Je suis convaincu que, peu à peu, le sport féminin et le sport masculin trouveront un équilibre ainsi qu’un lien entre eux. Économiquement, il s’agit d’un vrai axe de développement. Il faut donc impulser un élan en la matière, sans attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes. De formidables opportunités existent pour assurer et accélérer cette promotion, à condition que les fédérations acceptent de cohabiter avec les ligues pour lancer ce projet de façon commune. Le sport tire sa force du lien qui existe entre le monde professionnel et le monde amateur, et du respect que chacun de ces secteurs porte à l’autre.