L’Etat doit aujourd’hui ajuster et resserrer ses priorités dans le sport
18 janvier 2013
Patrick Lefas
Président de la 3ème chambre de la cour des Comptes
Superviseur du rapport rendu sur le sport
Juridiction indépendante, la Cour des comptes a pour mission de veiller à la bonne utilisation de l’argent public et d’en informer les citoyens. C’est désormais chose faite pour le domaine du sport, avec la parution jeudi 17 janvier 2013 d’un premier rapport thématique intitulé « Sport pour tous et sport de haut niveau : pour une réorientation de l’action de l’Etat ». Au terme de 230 pages d’une politique sportive disséquée et analysée, la Cour des comptes pointe du doigt le « saupoudrage » et préconise un renforcement de l’implication de l’Etat dans l’accès au sport pour tous, un rapprochement entre les fédérations et un soutien au sport de haut niveau recentré sur les sportifs les plus performants. Un rapport complet, jugé très utile par la Ministre des Sports Valérie Fourneyron. Entretien avec Patrick Lefas, Président de la 3e chambre de la Cour des comptes, qui a supervisé ce rapport.
Le rapport de la Cour des Comptes publié hier établit sur plusieurs points une comparaison entre le système français et celui de ses voisins européens. Quelle méthode avez-vous utilisée et quelles sont les grandes tendances observées ?
P.L : Nous nous sommes consacrés à l’analyse de certains exemples que l’on pourrait considérer comme des bonnes pratiques. Je pense notamment à l’exemple anglais UK Sport pour le haut niveau, à qui nous consacrons un large passage dans notre rapport. Il nous a semblé intéressant de cibler la comparaison internationale sur le haut niveau, puisque que c’est le domaine où la compétition est la plus forte. Le développement du sport pour tous dépend lui en grande partie de l’organisation institutionnelle du pays. Il n’est donc pas aisé de comparer de ce point de vue la France, un Etat centralisé, et l’Allemagne, un Etat fédéral. Le système français constitue un système original où l’Etat est très présent. Nous pensons qu’il peut continuer à jouer un rôle directeur malgré la réalité économique et en dépit de moyens financiers qui se sont extrêmement réduits. D’où la nécessité de réorienter son action, en particulier vers le sport pour tous, d’arrêter le « saupoudrage » et de faire du Centre National pour le Développement du Sport (CNDS) un vecteur complémentaire de l’action des collectivités territoriales. Nous pensons que pour inverser la tendance, les efforts doivent porter à la fois sur les publics les plus éloignés de la pratique (les personnes en situation de handicap, les femmes, les habitants des zones urbaines sensibles) et sur un meilleur maillage du territoire en termes d’infrastructures sportives.
« Axer les efforts de l’Etat vers le développement de la pratique féminine est donc un vrai enjeu de santé publique. »
Votre diagnostic pointe du doigt les politiques de développement du sport pour tous mais aussi celle du haut niveau…
PL : Concernant le sport pour tous, le diagnostic est très intéressant. Nous nous sommes basés essentiellement sur les chiffres de la pratique sportive. Par rapport à l’Allemagne par exemple, ce qui frappe, c’est le nombre d’associations et de fédérations, qui est en France deux fois plus élevé, alors que le nombre de licenciés est près de deux fois moins élevé qu’en Allemagne. Le modèle sportif français remonte aux années 1960, une époque où l’Etat était très présent. Avec les différentes étapes de la décentralisation, ce système a perdu de son efficacité. Nous proposons qu’il soit ajusté pour tenir compte des contraintes actuelles pesant sur les finances publiques et qu’il soit orienté vers des publics-cibles, parmi lesquels la population féminine ou les personnes en situation de handicap et les habitants des zones urbaines sensibles. Le fait que les femmes pratiquent moins de sport que les hommes est préoccupant, d’autant plus qu’elles ont également tendance à fumer davantage (NDLR : voir en ce sens le rapport de la Cour des comptes « Les politiques de lutte contre le tabagisme », décembre 2012). Axer les efforts de l’Etat vers le développement de la pratique féminine est donc un vrai enjeu de santé publique. Concernant le haut niveau, il y a certes quelques dysfonctionnements, mais le bilan est quand même convenable. Nos préconisations visent là aussi à recentrer l’action de l’Etat sur l’excellence sportive, et à rechercher encore plus d’efficacité dans un domaine extrêmement compétitif. C’est pourquoi il est intéressant de regarder ce qui se fait ailleurs, et de s’en inspirer tout en gardant notre spécificité.
A ce sujet, quels sont les enseignements à tirer de l’action de UK Sport au Royaume-Uni ?
PF : L’un des enseignements à retenir du système britannique réside dans la clarté des missions dévolues à chacun. Notre analyse laisse transparaître clairement le bénéfice qu’il y a d’une définition précise des responsabilités de chaque acteur, et de l’instauration d’un dialogue permanent. Par exemple, au Royaume-Uni, des objectifs très clairs ont d’ores et déjà été fixés pour les Jeux de Rio 2016. Ce n’est pas le cas chez nous. Une autre préconisation de notre rapport est que l’Etat se recentre sur sa mission de régulateur. C’est pourquoi la décision de confier la conduite stratégique des relations internationales sportives au CNOSF est une bonne décision. C’est pleinement dans la vocation du CNOSF que de se saisir d’un tel sujet. Cela implique une autre approche des candidatures pour l’accueil des grands événements sportifs, en particulier des Jeux Olympiques, avec une responsabilité assumée du mouvement sportif, en lien bien évidemment avec les collectivités territoriales concernées. Cette réflexion fait écho à l’accueil des autres événements sportifs majeurs, organisés ou non par les fédérations sportives. Celles-ci n’ont pas toutes pris la mesure de l’importance stratégique de l’accueil de ces événements. A contrario, l’exemple de la Fédération Française de Tennis, qui a su garder la maîtrise du tournoi de Roland-Garros et en tirer des bénéfices économiques et stratégiques importants, est à mettre en avant. Tout comme le projet développé par la Fédération Française de Golf pour l’accueil de la Ryder Cup 2018. Alors que pour l’accueil des Jeux Olympiques, l’enjeu est de bien définir le rôle de chacun des acteurs, celui des autres événements pose la question de leur maîtrise. Il s’agit là d’un véritable enjeu stratégique pour les fédérations.