L’eSport, l’innovation au service de l’inclusion
Joris Delivré-Melhorn, Directeur du Pôle inclusif et sportif, Conseil Départemental de la Seine-Saint-Denis
Le phénomène eSport ne cesse de prendre de l’ampleur, au point de constituer aujourd’hui l’un des loisirs les plus pratiqués et consommés dans le monde, notamment chez les jeunes. Si son essor interroge notre vision du sport, les innovations qu’il porte contribuent à favoriser l’inclusion de tous dans la pratique.
Tokyo 2020 pourrait être la première édition des Jeux Olympiques et Paralympiques à accueillir l’eSport comme discipline invitée, cette version compétitive du jeu vidéo s’étant très largement démocratisée ces dernières années via l’essor des plateformes de diffusion en ligne. La dernière étude menée en la matière par Médiamétrie révèle ainsi le chiffre étourdissant de 5,5 millions de spectateurs d’eSport dans l’Hexagone, pour près d’un million de pratiquants. Nul ne pourrait affirmer aujourd’hui, compte tenu de cet engouement, que la discipline n’intégrera pas également le programme des Jeux de Paris en 2024.
Toutefois, il demeure encore certains esprits chagrins, vent debout contre cette évolution. Ce sport « virtuel » ne nécessiterait en effet ni le niveau de préparation d’un décathlon, ni la débauche d’énergie d’un 50 kms marche, et tant pis pour le tir ou le golf qui privilégient pourtant eux aussi la technique, la coordination ou la préparation mentale.
Le meilleur argument en faveur d’une pleine reconnaissance de l’eSport devrait pourtant tenir au fait qu’il constitue actuellement la pratique sportive de loin la plus inclusive. Il est en effet le seul à permettre à des joueurs en situation de handicap physique ou sensoriel d’affronter leurs homologues valides en compétition, et à voir éclore une première génération de joueurs professionnels en situation de handicap, à l’image de Dayton Jones, qui vit avec une amyotrophie spinale, ou de Mike Begum, atteint d’agénésie des membres supérieurs.
Les progrès de la technique (réalité virtuelle, reconnaissance visuelle), associés à la mobilisation de communautés de joueurs en situation de handicap, ont accéléré leur inclusion dans les pratiques de loisir et de compétition. Des associations comme Ablegamers aux États-Unis ou Handigamer en France ont accompagné ce développement, en développant des contrôleurs adaptés à tous. C’est sous leur impulsion, et avec leur concours, que Microsoft a pu présenter cette année une nouvelle manette entièrement configurable, destinée spécifiquement aux joueurs en situation de handicap.
Dans le même temps, les développeurs de jeux et les grands studios ont fait le choix de la conception universelle, intégrant les différences de perception des individus dès la phase de développement et permettant ainsi aux usagers une configuration très poussée des contrôles ou des graphismes. C’est cette conjonction d’une prise en compte avancée des spécificités de chacun et d’une évolution technologique des outils de commande qui permet aujourd’hui la participation du plus grand nombre.
S’il semble paradoxal que la dernière pratique sportive à pouvoir prétendre intégrer le programme olympique soit également la plus inclusive, son exemple doit maintenant nous inspirer dans la réalisation d’équipements sportifs et l’accompagnement des pratiquants, quels que soient leurs niveaux ou leur degré d’autonomie. Sommes-nous prêts à relever ce défi pour 2024 ?