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L’émergence du travail sportif discontinu : un modèle à accompagner

Nicolas Verdon

Président de la Fédération Nationale Profession Sport et Loisirs

 

 

 

Uberisation ! Le terme est à la mode et il sera certainement même au cœur de la prochaine campagne présidentielle française. Comme toutes les terminologies à la mode, elle génère parfois des fantasmes et est utilisée à tort et à travers. Ce terme est pour certains le reflet d’une nouvelle liberté dans l’accès au travail, pour d’autres, il est la remise en cause d’une norme sociale qui guide nos relations au travail depuis un siècle.

Quelles que soient les réalités que recouvre cette nouvelle appellation, il est indéniable que les formes classiques du travail que nous avons connues depuis la deuxième partie du XXe siècle sont en mutation. Le modèle de l’entreprise au cœur du système productif, fournissant protection sociale et emploi stable, s’est complexifié autour d’une flexibilité et une souplesse inimaginables il y a encore quelques années.

Dans son dernier rapport, l’Organisation Mondiale du Travail (OIT) démontre que l’emploi salarié classique, avec un contrat de travail stable, est en train de reculer au profit de nouvelles formes d’emplois, et surtout du travail indépendant. L’emploi salarié ne représente que la moitié des emplois dans le monde et parmi ces emplois salariés, seuls 45% sont des emplois permanents à temps plein. L’emploi permanent en CDI n’est donc plus la forme prédominante d’emploi et de travail.

De nouvelles potentialités d’emplois dans le sport

L’avènement d’une civilisation du loisir, selon l’expression du sociologue Joffre Dumazedier, a conduit nos sociétés à repenser le lien entre le loisir et le travail. Longtemps, le loisir permettait de reconstituer la force de travail. Cette logique s’est inversée au cours du XXe siècle, où le travail est appréhendé comme une activité qui permet de développer des capacités individuelles de production du loisir. Chacun négocie ses contraintes de travail pour pouvoir vivre une vie de loisirs épanouissante. Dans cette nouvelle donne de l’accès au loisir, le monde sportif s’est taillé la part du lion.

Quatre Français sur cinq déclarent ainsi pratiquer ou vouloir pratiquer une activité physique ou sportive, et dans la majorité des cas, la motivation principale est le bien-être et la santé. L’émergence des pratiques libres et non encadrées, l’appétence pour une pratique physique et ludique dans un cadre naturel ou encore l’essor d’activités comme le running, démontrent une tendance non démentie de la recherche d’une pratique libre, sans contrainte, faiblement anticipée.

Cette évolution est créatrice d’opportunités pour le secteur de l’emploi sportif. Depuis une quinzaine d’années, la demande sportive augmente fortement et les créations d’emplois suivent cette croissance à un rythme soutenu de 10 % par an en moyenne. La demande sportive s’accélère et se retrouve dans de l’« hyper-changement » constant. La conséquence est l’adaptation permanente des formations et des cursus de nos éducateurs vers plus de polyvalence. Les opérateurs ne s’y sont pas trompés, et proposent de nouvelles offres de tourisme sportif, d’activités sport-santé, ou de sport en entreprise.

« La moitié seulement des emplois dans le monde sont des emplois salariés »

La tentation de l’auto entreprenariat

Les nouvelles formes d’emploi s’inscrivent souvent dans la précarité, et cette situation n’est pas seulement transitoire. L’avènement du temps partiel a très souvent été expliqué par la féminisation des emplois, et il faut bien admettre que la généralisation en cours dépasse bien nettement ce cadre. Pour une partie des salariés, le temps partiel est subi et non voulu, surtout chez les jeunes. Nos emplois, dans les domaines que l’on appelle globalement l’assistance aux personnes ou relevant du lien social, sont caractérisés par des formes de discontinuité : c’est particulièrement visible chez les artistes, où le régime d’intermittent du spectacle a essayé de prendre en compte imparfaitement cette particularité.

L’emploi sportif n’échappe à cette règle. La faiblesse des moyens des employeurs, la saisonnalité de l’activité, les temps d’activités regroupés le soir ou le mercredi… conduisent les salariés à adapter leurs pratiques professionnelles aux contraintes du marché. Le cumul d’emplois, voire d’employeurs, devient le passage obligé dans la construction des parcours professionnels. L’individualisation de son emploi devient la règle, alternant pour le pire et le meilleur, emploi salarié et auto entreprenariat. Dans ce contexte de précarité subi et d’employeurs fragiles, la tentation de devenir autonome dans sa démarche professionnelle est forte et l’auto entreprenariat ou microentreprenariat, fortement plébiscité par nos gouvernants, apparait comme la solution adéquate. Mais dans un secteur où le corps est l’outil de travail, le danger est grand de ne pas s’entourer d’un cadre de protection sociale adapté aux spécificités de sa pratique. Nombreux sont les jeunes éducateurs tentés par ce cadre souple et parfois poussés par leurs employeurs, qui se retrouvent dans des situations catastrophiques au premier pépin physique. Derrière les dispositifs séduisants, la réalité dans le secteur du sport et des loisirs est plus nuancée, voire bien sombre : après une expérience de trois ou quatre ans de création d’entreprise, la situation sociale des personnes s’est détériorée par rapport à ce qu’elle était précédemment.

 

Inventer de nouvelles formes de protection sociale

Notre système de protection sociale n’a pas été pensé ni pour de l’emploi discontinu, ni pour des carrières qui comprennent des périodes travaillées et des périodes non travaillés. L’emploi discontinu devenant la forme de travail la plus courante, il nous faut inventer des modalités permettant de conserver ses droits tout en basculant d’un employeur à un autre.

Les dernières évolutions vont dans ce sens, avec notamment la création du compte personnel d’activités ou, plus tôt, le principe de portabilité de droits. Il faut pouvoir acquérir des droits dans le statut de travailleur indépendant comme dans celui de salarié, et permettre à chacun de passer plus facilement de l’un à l’autre. Les expériences menées par SMart en Belgique et en France, mais également par notre Fédération Nationale Profession Sport & Loisirs autour des groupements d’employeurs, visent à fournir aux salariés des droits et un cadre de services juridiques, financiers et fiscaux sécurisant et adaptés à l’épanouissement de l’activité professionnelle. L’idée de coopérer pour faire aboutir ses projets dans de grands ensembles collectifs, plutôt que multiplier les expériences concurrentes, considérer que la mixité sociale et culturelle est une richesse et non une source de dispersion, doit nous amener à construire des espaces collaboratifs ouverts entre les acteurs du sport et du loisir.

Sandrino Graceffa, directeur général de SMart, qui intervient dans cette revue, défend l’idée que l’espace européen doit être un espace d’innovation sociale et d’invention d’un nouveau modèle de protection sociale des salariés. Je partage cette idée.

 

www.profession-sport-loisirs.fr

 





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