Dans le cadre de la campagne électorale, Sport et Citoyenneté a présenté une série de convictions et d’orientations pour renforcer la place du sport dans la société.
Dans le prolongement de cette réflexion, notre Think tank a interrogé les candidats à l’élection présidentielle ainsi que plusieurs parties prenantes sur leur vision du sport et sa place dans le débat politique actuel. Une série d’entretiens que nous vous proposons de découvrir dans cette rubrique.
« Le sport n’est pas une priorité en France »
Interview de Pascal Boniface, Fondateur et directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
Dans votre ouvrage « Géopolitique du Sport », vous démontrez que le sport est un élément important de la diplomatie. Pourtant, à l’occasion de la campagne présidentielle, cette dimension semble être oubliée des débats. Pour quelles raisons selon vous ?
PB : Le sport a une très grande importance géopolitique. Seulement, en France, il y a une relative distance des pouvoirs politiques avec le monde sportif. Le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) a organisé une audition des différents candidats et seul trois sur douze étaient présents. Si les chasseurs, les agriculteurs ou d’autres professions qui ne représentent pourtant pas les 17 millions d’adhérents du mouvement sportif les invitaient à ce type de débat, ils se sentiraient obligés de répondre présents. Il y a une traditionnelle distance du monde politique français à l’égard du monde sportif, hormis lors des victoires et des moments les plus exaltants de notre histoire sportive. Quoi qu’il en soit, le sport n’est pas une priorité en France, en témoigne le budget qui lui est consacré, où le sport est souvent une variable d’ajustement.
Le conflit en Ukraine occupe actuellement les débats. De nombreuses sanctions économiques et politiques ont été infligées à la Russie. Parmi elles figure l’exclusion des équipes et des sportifs russes à de nombreuses compétitions sportives. On sait combien Vladimir Poutine a utilisé le sport comme un levier en matière de politique extérieure. Quel poids ces sanctions peuvent-elles avoir sur le Kremlin ?
PB : Poutine a utilisé le sport comme moyen de rayonnement et de restauration du prestige de la Russie sur la scène internationale. Il a eu des succès, comme l’obtention des Jeux de Sotchi en 2014 et de la Coupe du monde de football 2018. Mais il a eu aussi des déconvenues, comme la mise à jour d’un dopage d’Etat et l’exclusion de la Russie des Jeux Olympiques. Cela a été contre-productif pour l’image de la Russie.
Les sanctions sportives permettent à Poutine de se victimiser auprès de son opinion publique, en jouant sur l’idée de complot occidental contre la Russie. Ce récit peut avoir un impact, mais les Russes vont finir par se rendre compte de leur isolement, par exemple quand la Coupe du monde de football 2022 se jouera sans eux. Dans le même temps, les athlètes Russes peuvent être considérés comme des victimes innocentes d’un conflit qui les dépassent. Quelques années plus tôt, les sportifs et les équipes américaines n’avaient pas été exclus malgré le conflit en Irak. Deux ans après le début de la guerre, les Jeux Olympiques et Paralympiques avaient été attribués à Londres, acteur important dans cette guerre catastrophique. Deux points de vue existent donc. Pour certains, on exclut des sportifs qui ne sont pas pour la guerre et qui subissent de plein fouet ses conséquences. Pour d’autres, la gravité des événements impose de prendre ce type de sanctions.
Cette rupture de la neutralité politique du sport est-elle aussi une avancée selon vous ?
PB : Rappelons tout d’abord que les sportifs sont des citoyens comme les autres. Ce ne sont pas des personnalités mineures, qui n’auraient pas d’avis à donner sur tel ou tel sujet. Il est normal de les entendre sur ces questions, en dehors des podiums. La mobilisation de nombreux sportifs pour alerter sur la situation de la tenniswoman Peng Shuai montre, par exemple, que le sport peut prendre position sur des décisions politiques. Le sport et la politique ont des rapports dialectiques interdépendants et il est évident que le sport est politique et géopolitique.
La diplomatie sportive française s’articule depuis 2014 autour d’un ambassadeur du sport, poste occupé aujourd’hui par Laurence Fischer. Or, cette fonction est aujourd’hui plutôt méconnue. En quoi consiste-t-elle précisément ? Comment renforcer ses prérogatives ou son influence selon vous ?
PB : Laurence Fischer est une sportive de très haut niveau qui a intégré le Quai d’Orsay. Je pense que c’est important de voir une sportive occuper un tel poste. Pour ce qui concerne le renforcement des prérogatives, cela dépend des moyens qu’on assigne à la fonction. Et force est de constater qu’aucun ambassadeur du sport, pas même Jean Lévy, son instigateur, n’a réellement eu les moyens afférents à leur fonction.
L’ambassadeur du sport a un rôle symbolique. Pour Laurent Fabius, qui a créé ce poste, le sport était un moyen de rayonnement pour la France, dont il fallait s’emparer. Le Quai d’Orsay était peu sensible à cette problématique, il fallait donc nommer un ambassadeur afin d’accoutumer les diplomates à l’importance du sport. Cette fonction permet aussi une liaison entre le monde sportif et le monde diplomatique. Ainsi, la création et l’existence de cette fonction sont des facteurs positifs pour montrer les liens existants entre sport et diplomatie.
Quels sont les critères permettant de juger de l’influence géopolitique en matière de sport aujourd’hui ? Peut-on considérer le Qatar ou la Chine comme des grandes puissances dans ce domaine ?
PB : Organiser les Jeux Olympiques et Paralympiques ou la Coupe du monde de football implique d’être une grande puissance sportive. L’autre façon de dire qu’un pays est une grande puissance est le tableau des médailles. Malgré tout, il est difficile de quantifier cette influence.
En ce qui concerne la Chine et le Qatar, oui ce sont deux grandes puissances sportives. Le Qatar se distingue par ses investissements, au Paris Saint-Germain, via BeIn Sports ou pour accueillir la Coupe du monde de football 2022 pour ne prendre que quelques exemples. La puissance de la Chine se mesure par l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, par sa position au tableau des médailles ou par son rayonnement national. Dans les deux cas, le Qatar et la Chine font du nation branding, avec des objectifs différents. Contrairement au Qatar, la Chine ne se sent pas menacée dans son existence. Coincé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, le Qatar est un peu dans le même cas de figure que l’Uruguay il y a quelques années qui, pour exister entre ses voisins brésiliens et argentins, fut le premier organisateur de la Coupe du monde de football. Les problématiques sont différentes avec celles rencontrées actuellement par le Qatar, mais cela démontre que le sport permet à des pays d’exister sur la scène internationale. Même si les critiques s’entendent, on ne peut pas faire le choix d’organiser des compétitions sportives uniquement dans des démocraties occidentales, car le monde n’est pas entièrement fait de démocraties. Soit on fait des compétitions réservées aux démocraties occidentales, soit le sport est universel et il va dans d’autres pays.
L’impact économique du sport est assez bien identifié et mesuré, mais ce n’est pas le cas de l’impact social du sport. On ne dispose que de peu de données et de méthodes pour évaluer ces impacts. Alors que les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 se profilent, comment peut-on selon vous progresser sur le sujet ?
PB : L’impact social du sport peut être promu dans le cadre de la politique étrangère française. C’est un moyen de rayonner et Sport et Citoyenneté est d’ailleurs est au cœur de cette problématique par son existence et ses actions. Il y a tout de même des moyens de mesurer cela.
L’aspect politique n’est pas toujours suffisamment mis en avant. Alors qu’on se plaint aujourd’hui de cas de violences dans les stades, on devrait plutôt mettre en lumière les violences qui n’ont pas été commises grâce à la pratique sportive. Le sport permet de canaliser l’énergie des individus. Il y a un million de matchs de football par an. Seuls quelques-uns donnent lieu à des incidents. C’est déjà trop et il faut lutter contre toutes ces formes de violences, mais il faut aussi parler de tout ce que le football apporte. Si le football n’existait pas, on aurait des enfants nettement moins encadrés et désœuvrés.
Autre exemple, quand la Fédération Française de Judo déploie un plan visant à créer 1000 dojos, elle participe au développement de la pratique sportive mais aussi à l’éducation civique des pratiquants. Grâce à ce sport, les enfants apprennent à connaître l’autre, le respect des règles, l’éthique… des valeurs nécessaires dans notre société.
De plus en plus d’événements sont coorganisés par plusieurs pays, à l’image de l’UEFA EURO 2020. Serait-il possible de voir un jour des Jeux Olympiques et Paralympiques ou une Coupe du monde de football organisés par l’Union européenne ?
PB : Les grands événements sportifs nécessitent une certaine unité de temps et de lieu. C’est différent de coorganiser un tel événement entre deux pays voisins de taille moyenne, qui consolident leur dossier via une co-candidature (ex. : Pays- Bas et Belgique, Autriche et Suisse) que de coorganiser un événement à une échelle européenne. De plus, la candidature à l’accueil des Jeux Olympiques et paralympiques est portée par une ville et non un pays, même si certaines épreuves sont décentralisées. Cela me semble donc inenvisageable à court ou moyen terme.