La Suisse et le CIO : des relations bilatérales complexes
L’ouverture d’une procédure de révocation contre le procureur général de la Confédération suisse en raison de ses liens avec la FIFA a mis sous le feu des projecteurs la relation complexe qu’entretiennent les organisations sportives internationales et le pays qui les abrite.
Quentin TONNERRE
Doctorant en histoire diplomatique,
Université de Lausanne
Dans cet État fédéral, ce sont surtout les villes et les cantons – principalement Lausanne et le canton de Vaud – qui maintiennent des relations privilégiées avec ces organisations. Mais les autorités helvétiques ont elles aussi des rapports réguliers avec le CIO, transféré à Lausanne en 1915, depuis l’entre-deux-guerres. Bien que ces relations connaissent de nombreuses tensions à cette période puis durant la Guerre froide, les deux parties s’entendent en 1981 pour améliorer le statut juridique du CIO en Suisse. C’est un point de rupture à partir duquel le Département fédéral des affaires étrangères devient l’interlocuteur privilégié de l’institution olympique au sein de l’administration fédérale.
Cette étape importante aboutit environ une année après l’accession du franquiste Samaranch à la présidence du CIO. L’Espagnol veille dès lors à soigner ses relations avec la Suisse et nomme François Carrard, avocat de la place lausannoise, directeur du CIO en 1989. Ce dernier, fort de ses réseaux au sein de l’administration fédérale, travaille main dans la main avec les affaires étrangères suisses depuis une dizaine d’années pour améliorer le statut juridique du CIO. Samaranch propose également au conseiller fédéral Adolf Ogi, membre du gouvernement fédéral et ancien directeur de la Fédération suisse de ski, d’intégrer le cénacle olympique. L’opposition d’Otto Stich, membre socialiste du même gouvernement, empêche toutefois la réalisation de ce projet controversé.
À la suite de l’affaire Festina (1998), au scandale de corruption lors de l’attribution des Jeux de Salt Lake City et à la défaite de la ville de Sion face à Turin pour l’organisation des Jeux d’hiver 2006, les Suisses se distancient du CIO. Malgré l’intervention en coulisses du gouvernement, le membre suisse du CIO Marc Hodler clame aux médias du monde entier que son organisation est hautement corrompue. Sous la pression populaire et du parlement, le CIO retire sa demande d’exemption de la taxe sur la valeur ajoutée – un impôt sur la consommation – et entame sa réforme. Mais le mal est fait. Lors de l’élaboration de la Loi sur l’État hôte (2007), qui définit aujourd’hui les privilèges et immunités dont bénéficient les organisations internationales sur le territoire suisse, le CIO n’est pas entendu. Il devra attendre l’arrivée du nouveau président du CIO Thomas Bach en 2013 pour retrouver un semblant d’entente avec les affaires étrangères suisses.
« Image, crédibilité, influence »
Partagée entre sa volonté de conserver sur son territoire les organisations sportives internationales qui s’y trouvent et la nécessité d’inscrire à son agenda une politique étrangère durable, la Suisse entretient donc des relations difficiles avec ces institutions. Les discussions en cours sont prometteuses mais seule l’absence de nouveaux scandales au sein de ces organisations dans les années à venir, ainsi que de réelles avancées sur les droits humains, leur permettra d’aboutir. Pour la Suisse, il en va de son image et de sa crédibilité – et donc de son influence – sur la scène internationale.