La rencontre

Par Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA et membre du comité scientifique Sport et Citoyenneté

On l’oublie trop souvent : un match de football, c’est d’abord une rencontre. C’est une simple vérité qui mérite d’être rappelée, tant elle est noyée dans le brouhaha d’un discours médiatique frénétique, éclipsée par les enjeux du business, ternie par des incidents racistes ou violents certes assez rares mais intolérables.

Et quand cette rencontre est internationale, comme le sont les 51 matches qui se dérouleront lors du Championnat d’Europe en Allemagne entre le 14 juin et le 14 juillet, elle prend une dimension particulière. Pour beaucoup d’enfants, les grands événements sportifs sont la découverte de toute la diversité des peuples réunie autour d’un jeu dans une compétition pacifique. Des noms abstraits imprimés sur une carte prennent forme dans l’incarnation d’une équipe. C’est le moment de se faire une première idée de ce que « international » veut dire.

Et pour les moins jeunes, les matches internationaux, au stade ou devant le téléviseur, sont autant de petites doses de rappel interculturelles qui ont l’avantage, grâce au calendrier sportif bien huilé, d’être administrées de manière très régulière. Chacune de ces rencontres est une occasion de nuancer des idées reçues, de s’amuser à convier de vieux stéréotypes qu’on sait dépassés, d’actualiser nos perceptions. Le football, c’est l’ERASMUS du pauvre : accessible à tous, il permet, lors de ses grandes messes, de renifler les autres. Pour constater qu’ils sont, dans leur passion ordinaire, à la fois singuliers et finalement pas si différents de nous.

 

Une fenêtre grande ouverte

C’est devenu un poncif d’évoquer le gain de soft power que visent les nations qui accueillent chez eux ces événements. Cela se discute. L’Allemagne gagnera-t-elle en influence sur l’échiquier diplomatique parce qu’elle paie une belle fête estival à l’Europe du foot ? Il est permis d’en douter.

En revanche, pour nous, les spectateurs, c’est à coup sûr une belle opportunité de mettre à jour nos connaissances. Cette année, le football ouvre une fenêtre grande ouverte sur une société voisine qui, faute de connaissances linguistiques et d’appétence culturelle, reste souvent lointaine, floue, étrangère pour une grande majorité.

C’est pour saisir l’opportunité que donne cet Euro 2024 qu’a été conçu le projet d’un livre « Guide de voyage » d’un genre particulier : une plongée dans la culture du football allemand qui, on s’en aperçoit assez vite, traverse vraiment toute la société outre-Rhin. Initié par moi-même, coordonné avec l’aide de Stephan Klemm, journaliste à Cologne et auteur d’une enquête remarquable sur la demi-finale du Mondial 1982 à Séville, ainsi que de Paul Dietschy, grand historien du football, professeur à l’Université de Franche-Comté, l’ouvrage a été réalisé par les Presses Universitaires de Franche-Comté, avec le soutien de l’Office franco-allemand de la Jeunesse, ce qui permet de le distribuer gratuitement.

 Téléchargez le guide de voyage

Le Guide de voyage, qui grâce à son format se lit agréablement sur un écran de smartphone, est organisé autour de dix chapitres axés sur les villes hôtes qui accueillent l’événement. Ces portraits n’ont rien de professoral : ce sont des témoignages d’amateurs de football, ancrés dans la culture locale, qui partagent leur passion, non sans humour, avec leurs lecteurs français. En faisant connaissance avec ces villes, on apprend beaucoup de choses, bien au-delà de la seule histoire du football allemand avec son trésor d’anecdotes. On s’approprie une culture du quotidien, populaire, sans fard, qui a beaucoup de choses à dire sur la société dans son ensemble.

 

À partager sans modération

Entre les portraits des villes, toute une série de chapitres plus courts apportent des éclairages complémentaires. Et quelques invités de marque y laissent leur trace : Philipp Lahm, directeur du tournoi, nous a accordé une interview très personnelle ; Jean-Charles Sabattier et Hervé Mathoux s’interrogent sur « la métamorphose du football allemand », Katja Kraus et Helen Breit, fondatrices du mouvement « Le football peut mieux faire » évaluent la place des femmes dans le football en Allemagne.

Si les 10 000 exemplaires imprimés du livre ont prioritairement vocation à être distribué sur place, aux supporters des Bleus qui ont fait le voyage pour accompagner leur équipe en Allemagne, la version PDF téléchargeable (https://pufc.univ-fcomte.fr/Euro2024.pdf) peut être partagée sans la moindre modération en France. On ne s’avance pas trop en garantissant une lecture à la fois divertissante et enrichissante.

 

Un objectif modeste

Ces jours-ci, on a souvent tendance à surcharger le football de missions sociétales. Il doit promouvoir l’inclusion, battre en brèche le racisme et les discriminations, réaliser l’égalité des genres, sensibiliser au changement climatique, mener la lutte contre la sédentarité, atténuer les inégalités. Et en bonus, apporter des moments de cohésion dans des sociétés en proie à une fragmentation accrue.

Un championnat d’Europe est peut-être l’occasion de lui adresser une demande plus modeste : s’il pouvait simplement susciter de la curiosité pour les voisins, permettre d’en savoir davantage sur leur vie, et pourquoi pas générer cette empathie qui reste la mère de toutes les compétences interculturelles, il aurait déjà fait beaucoup.

 

 

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