« L’approche Montessori, ne sépare pas les moments de motricité du reste des activités »

Par Emmanuelle Jappert, écrivaine

 

 Charlotte Poussin, éducatrice Montessori AMI (Association Montessori internationale) fait partie des forces vives du mouvement Montessori en France et dans le monde. Auteure de plusieurs ouvrages de référence (Que sais-je ? La pédagogie Montessori (PUF), Apprends-moi à faire seul, la pédagogie Montessori expliquée aux parents (Eyrolles, 2011 réédité en 2016), elle vient de co-traduire Montessori, the science behind the genius de la chercheuse Angeline Stoll Lillard, sous le titre Montessori, une révolution pédagogique soutenue par la science (DDB, à paraître en novembre 2018). Elle conçoit aussi des coffrets pédagogiques (coffret Montessori Eyrolles) et des livres pour enfants (Ma journée Montessori, Bayard Jeunesse).

 

 

Maria Montessori (1870-1952), médecin et pédagogue italienne, est mondialement connue pour la méthode qui porte son nom. Pionnière dans le domaine de l’éducation, elle avait perçu l’importance du mouvement pour l’enfant. Qu’en est-il de la place réservée à l’activité physique dans son approche innovante ?

Au début du 20e siècle, il n’était pas autant question d’éducation physique qu’aujourd’hui. Mais Maria Montessori insistait sur le besoin de mouvement omniprésent. C’est pourquoi toutes les activités proposées par sa pédagogie impliquent une motricité globale ou fine. L’enfant se construit et apprend mieux dans le « mouvement intelligent », qui sous-entend qu’il est dirigé, contrôlé et qu’il est fait dans un but précis. C’est une des conditions du développement de chacun sur tous les plans. Maria Montessori insistait sur la corrélation qu’il y a en permanence entre la coordination motrice et la construction de l’intelligence.

 

Pouvez-vous nous citer un exemple d’activité qui illustre ce mouvement au quotidien dans une école Montessori ?

Dans les classes maternelles Montessori on trouve par exemple une ligne discontinue en forme d’ellipse, dessinée au sol, sur laquelle l’enfant marche quand il le souhaite ou à des moments dédiés (un enfant peut se lever quand il veut. Il n’a pas besoin de demander l’autorisation dans une classe Montessori). Cette ligne est dégagée, unie, et assez grande. Le fait de marcher dessus requiert de la part de l’enfant un effort de concentration qui lui permet de se recentrer. L’approche Montessori, multisensorielle, ne sépare pas les moments de motricité du reste des activités. L’enfant bouge en faisant des mathématiques, des exercices de langage, de la géographie, du jardinage et il passe aussi beaucoup de temps à l’extérieur. Sans oublier que dans une école Montessori, les enfants sont en interaction permanente. Ainsi, les enfants forment une sorte de communauté et l’ambiance peut rappeler celle d’une équipe sportive. Il y a une conscience générale du groupe et tous entretiennent un esprit solidaire, il y a de l’entraide, de l’empathie, du coaching en quelques sortes, comme dans un club sportif !

 

Au-delà de ce mouvement quasi permanent au quotidien, n’y a t-il pas, comme dans les autres établissements, des créneaux spécifiques pour le sport ?

Il n’y a pas de voix officielle du Mouvement Montessori qui dit «  le sport doit être vécu de telle manière », même si tout le monde s’accorde pour dire que l’activité physique est essentielle. La réalité est que, souvent, c’est une question de budget. Certaines écoles prévoient des créneaux une fois par jour et s’appuient sur les infrastructures à proximité,comme la piscine municipale ou un club de poney. D’autres établissements ne l’intègrent pas dans leur emploi du temps plus de deux heures par semaine afin de ne pas grignoter sur le temps imparti à la manipulation du matériel Montessori qui se fait idéalement sur des cycles de 2 h 30 à 3 h sans interruption. Ces écoles préconisent alors une activité régulière en dehors des heures scolaires, cela dépend vraiment de chaque école. Notons qu’en France la méthode se développe aussi, actuellement, au sein de certaines écoles publiques. Les créneaux dédiés au sport sont donc maintenus comme dans toute autre école.

 

Y a-t-il différentes approches en fonction du pays dans lequel la pédagogie est mise en place Point d’interrogation est précédé d’une espace fine insécable. ? 

Il y a des écoles dans le monde entier et l’approche diffère en fonction de la culture du pays. Je vis actuellement en Turquie et mon fils, qui est dans une école Montessori, pratique du sport au moins deux fois par semaine, en plus d’une journée complète en forêt tous les quinze jours. Dans d’autres écoles comme dans certaines que j’ai visitées en Chine, la pratique sportive est quotidienne. C’est aussi le cas dans les pays nordiques.

 

Les écrans sont montrés du doigt parce qu’ils encouragent la sédentarité. Comment sont-ils perçus par le mouvement Montessori ?

Nous avons tous un avis personnel sur ce sujet. Encore une fois il est difficile de parler au nom de Maria Montessori. Mais nous organisons régulièrement des moments de réflexion au sein de l’Association Montessori France (AMF). Nous nous sommes réunis autour du psychiatre Serge Tisseron et nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il n’est pas question de tourner le dos à l’écran (sauf avant trois ans), devenu indispensable dans nos vies en ce début de XXIème siècle. Mais il est à utiliser dans le cadre de règles strictes d’éducation : avec parcimonie, en présence d’un adulte, sans que l’écran soit considéré comme nouveau type de babysitter et sans jamais considérer que l’écran puisse remplacer le « vrai » mouvement. Donc, de l’informatique, oui, mais dans un cadre bien précis, en fonction de l’âge de l’enfant, en étant conscient des risques et des dangers. Il faut pour cela rester vigilent et encourager l’esprit critique des enfants sur ce qu’ils voient sur les écrans. Il s’agit aussi d’apprendre à devenir un concepteur informatique, et pas uniquement un consommateur. D’ailleurs, certaines écoles (comme Cube School à Boulogne-Billancourt), proposent des activités pour apprendre à coder. Cette démarche se fait à l’aide de jeux en bois ou d’objets qui ne sont pas nécessairement informatiques. Il s’agit de vivre en harmonie avec les innovations actuelles en prenant le meilleur de chacune, en devenant acteur des changements, tout en restant bien actif dans son corps !

Crédit photo : extrait du livre Apprends-moi à faire seul, la pédagogie Montessori expliquée aux parents (Eyrolles, 2016)





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