Jeunesse et sport : comment façonner la société de demain ?

 

Enseignant en STAPS à l’Université Paris-Est Créteil et agrégé d’EPS, Guillaume Dietsch enseigne principalement la sociologie et l’histoire du sport et de l’éducation physique et sportive. 

Coauteur du livre « Une histoire politique de l’EPS. Du XIXe siècle à nos jours » publié en 2022 aux éditions De Boeck Supérieur, il rédige en 2024 un nouvel ouvrage, « Les jeunes et le sport. Penser la société de demain », dans lequel il questionne l’évolution des modes de pratiques sportives et les enjeux actuels de notre société.  

« Les jeunes sont les acteurs majeurs du changement » 

Sollicitant à la fois l’histoire, la philosophie, la sociologie et la littérature scientifique, Guillaume Dietsch propose dans son dernier ouvrage de repositionner le sens donné au sport et à l’éducation physique et sportive, eu égard aux évolutions sociétales et aux appétences des nouvelles générations. Si le sport peut assumer une dimension émancipatrice, il est également nécessaire d’en traiter les dérives afin d’analyser de manière systémique l’impact du sport sur notre société. 

 

La relation au sport, le cadre de pratique ou encore le sens donné au sport et à l’activité physique par les jeunes générations ont considérablement évolué ces dernières années. Assiste-t-on selon vous à une bascule, renforcée notamment par les usages liés aux nouvelles technologies ? 

 

Le chapitre de mon dernier ouvrage portant sur les nouvelles technologies est révélateur de la complexité des thématiques abordées en relation avec les jeunes générations. Pour les digital native, le sport joue toujours un rôle prépondérant dans leur construction personnelle, mais les cadres de pratique et le sens donné au sport évoluent. Je m’interroge ainsi sur les pratiques connectées (via des applications et des objets) et les pratiques autonomes créées via les réseaux sociaux ou les influenceurs (communautés de pratiquants). Ces modes de pratique reflètent une certaine idée de notre société, qui met en avant la performance et la comparaison, avec des outils que l’on pense de prime-abord plutôt pertinents pour démocratiser la pratique sportive. Pour autant, ces outils peuvent participer à des phénomènes d’abandon de la pratique sportive, développer des formes de culpabilité, voire des problématiques liées à certaines pathologies, notamment de santé mentale, lorsque l’on ne correspond pas à ces normes corporelles dominantes. Il est donc nécessaire de traiter ce sujet de manière systémique, en l’articulant avec d’autres enjeux sociétaux pour analyser complètement l’impact que peut avoir le sport dans nos vies et nos sociétés. 

 

On parle beaucoup de l’héritage des grands évènements sportifs, notamment auprès des jeunes générations. Comment peut-il se matérialiser selon vous ?       

Il y a, selon moi, une forme de paradoxe car tous les grands évènements sportifs actuels demeurent construits sur un modèle traditionnel, et présentent un spectacle qui ne correspond pas à la culture jeune actuelle. Même si certains sports continuent de toucher un large public (le football, par exemple), tout l’enjeu des Jeux Olympiques et Paralympiques se trouve selon moi donc dans leur capacité à se réinventer toucher un public plus large, qui ne se sent pas concerné par la programmation actuelle, via de nouvelles disciplines ou de nouveaux services liés au spectacle sportif. 

De fait, on peut poser des réserves sur l’héritage symbolique des Jeux. Plusieurs enquêtes menées après les Jeux de Londres 2012 ont démontré que l’évènement a finalement eu peu d’impacts sur les populations, notamment celles qui étaient éloignées culturellement du sport. Le facteur majeur demeure ici l’héritage familial. Le rôle des parents dans l’inscription ou non dans un mode de vie actif et sportif est fondamental, et ce dès le plus jeune âge. Plusieurs études suggèrent que cet héritage sportif se transmet aujourd’hui principalement par le père. Quand sera-t-il demain, alors qu’on assiste à de profondes recompositions de la cellule familiale ? Il sera intéressant de suivre la place que la mère va occuper dans cette transmission, notamment chez les familles monoparentales. Ainsi, pour aborder les problématiques d’héritage dans leur entièreté, il est nécessaire de les considérer en lien avec la question de la famille mais aussi de l’évolution du temps libre qui en découle. L’analyse systémique est fondamentale ici aussi, afin d’apporter des réponses adaptées à ces nouveaux contextes. 

Comment les jeunes générations peuvent-elles s’inscrire dans cet héritage, et participer à le générer par eux-mêmes ? 

Les décideurs publics ou sportifs doivent prendre en considération les voix et les aspirations des jeunes générations lors de l’élaboration des politiques publiques, à l’échelle nationale et locale. Les jeunes sont les acteurs majeurs du changement. L’exemple des espaces publics sportifs est plutôt parlant à cet égard. On y retrouve des installations sportives que les décideurs pensent appropriées aux envies des jeunes, par exemple du matériel de musculation, de street workout, etc. Ce que confirment par ailleurs les enquêtes réalisées sur le sujet. Pour autant, on s’interroge peu sur l’accessibilité de ces espaces aux femmes, sur leur sécurisation, leur proximité avec le centre-ville ou le centre-bourg. En conséquence, on se retrouve avec des espaces sportifs très majoritairement occupés par des hommes ou peu utilisés car trop éloignés géographiquement des lieux de vie. Alors que ces espaces pourraient être des lieux de socialisation et de reconnexion entre les générations par le biais du sport, leur implantation à la périphérie des villes est symbolique et révélatrice d’une image que l’on peut avoir de la jeunesse. 

En quelques mots, comment voyez-vous le sport de demain ? 

Le sport de demain, c’est un modèle qui évolue avec la société. C’est un sport qui assume d’être un moyen de participer au changement de la société, tout autant dans sa dimension émancipatrice qu’aliénante. 

Extraits du livre 

  • « Dans leur quête de construction identitaire, le sport représente bien plus qu’une pratique et s’impose comme un marqueur de la jeunesse, une manière d’être et de penser le monde : la société de demain. » p.9 
  • « La jeunesse doit pouvoir être partie prenante des grands défis du sport et du monde de demain. L’offre sportive et son accessibilité nécessitent d’être réfléchies en fonction de l’évolution des aspirations des jeunes Encore faut-il leur donner toute la place qu’ils méritent ! » p.10 
  • « La nouvelle génération peut se lasser très vite d’un sport. Tout se consomme et se vit en « mode Netflix ». Ce zapping sportif témoigne plus largement d’une société de l’immédiateté en perpétuelle accélération. Les jeunes aiment le sport, mais de préférence sans contrainte. Ils sont en prise directe avec un environnement virtuel qui transforme indéniablement leur rapport à la pratique sportive. » p.132 
  • « Mobilisés pour la protection de l’environnement, conscients des enjeux de santé concernant l’activité physique et sportive, les jeunes sont des acteurs majeurs du changement. Entre satisfaction individuelle et contribution au collectif, ils doivent pouvoir s’impliquer réellement dans les politiques de la jeunesse et du sport. » p.145 
  • « Penser la société de demain… C’est accepter de faire du sport autrement en prônant un modèle sportif plus social, mixte et durable. C’est développer l’activité physique et sportive intergénérationnelle et apprendre à pratiquer ensemble. C’est défendre un projet d’émancipation par le sport, pour toutes et tous, en valorisant la diversité. » p.146 

Cet article a été publié dans la revue Sport et Citoyenneté n°57 : Protéger l’intégrité du sport





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