« On ne peut pas peindre du noir sur du noir, on ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, on a besoin de l’un et de l’autre pour se révéler »
Citation de Manu DIBANGO, musicien de jazz d’origine camerounaise, citée pour la première fois lors d’un congrès d’une association d’éducation contre le racisme.
Thierry WITSEL est député au parlement de Wallonie et administrateur du Think Tank Sport et Citoyenneté. Président d’une nouvelle ASBL (Association Sans But Lucratif) « Stop Racism in Sport », il est très engagé dans la lutte contre le racisme. Au cours d’une interview riche en enseignements, nous sommes revenus avec lui sur les enjeux de l’Euro 2020, sur les récents événements autour du racisme et d’actes homophobes dans le monde du sport et dans notre société. M. WITSEL nous partage de précieuses explications et conseils pour mieux comprendre ces événements et mieux s’en prévenir à l’avenir.
Propos recueillis par Julian Jappert, Directeur général du Think Tank Sport et Citoyenneté
Comment voyez-vous le monde du sport impliqué dans la lutte contre les discriminations ? L’euro 2020 est-il allé dans le bon sens dans cette lutte ?
TW : Il y a quelques mois, lors du match de Ligue des Champions PSG – Basaksehir, les joueurs ont pris une bonne décision en arrêtant la partie et ont montré au niveau international que le racisme n’a plus sa place dans le sport et la société. L’initiative des joueurs Belges à l’Euro 2020 de mettre un genou à terre et de lever le poing en début de match est intéressante car la Belgique est une équipe multiculturelle, qui représente toute la société Belge. Il y a même d’autres équipes qui ont préféré applaudir. Par rapport à la coupe du monde 2018 et l’Euro 2016 où nous n’avons pas observé ce genre de gestes, j’estime qu’on a passé un cap avec les joueurs qui montrent leur mécontentement face aux discriminations.
Les sportifs de haut niveau sont souvent considérés comme des modèles de société. Selon vous, sont-ils suffisamment formés pour jouer ce rôle ?
TW : J’aurais tendance à dire que non. Avant tout, les joueurs et sportifs sont préparés à avoir un bagage physique pour les grandes compétitions. Ceux qui souhaitent s’investir personnellement dans un projet ou une cause solidaire sont tenus de se former de manière autonome. Donc non ils ne sont pas du tout préparés et suffisamment formés à jouer ce rôle. Personnellement, je souhaite que les parcours de formation débutent dès l’école afin de sensibiliser les plus jeunes à cette thématique. Cela permettra de prévenir les jeunes afin qu’ils puissent avoir une idée de ce qu’il pourrait se passer dans le monde du sport, et de se former « une carapace » de protection comme ce fut le cas pour mon fils Axel (Axel WITSEL est un joueur de football professionnel, international Belge et médaillé de bronze à la coupe du monde 2018, il évolue actuellement au Borussia Dortmund)
Pensez-vous qu’il existe une hiérarchie dans la lutte contre certaines discriminations ?
TW : Je pense qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les discriminations. Cela ne devrait même pas exister à mes yeux. Je m’attaque aujourd’hui à la problématique du racisme dans le monde du sport car je suis moi-même une personne de couleur. Il n’y a pas à positionner une discrimination plus haute qu’une autre. Suite à la loi anti-LGBT votée récemment par le gouvernement Hongrois, l’UEFA a désormais l’occasion de prendre davantage ses responsabilités et prendre parti afin de montrer l’exemple dans notre sport et dans notre société. Quand on est en démocratie, il faut accepter la personne à côté de soi, avoir du respect par rapport à cette personne et la loi votée en Hongrie par rapport à la non-promotion de l’homosexualité ne va pas dans ce sens. Évidemment qu’on ne peut pas passer à côté d’autres discriminations comme le sexisme ou encore l’homosexualité.
Pourquoi selon-vous, malgré tout l’arsenal juridique existant aujourd’hui, y a-t-il toujours autant de tabou à porter plainte lorsqu’il y a une discrimination ? Le monde du sport ne pourrait-il pas instaurer lui-même des sanctions purement sportives ?
TW : Au regard des statistiques, je dirais qu’il y a des plaintes et des sanctions qui sont prévues lorsqu’il y a discrimination, du moins sur le papier. Dans les faits … on n’aboutit pas toujours à des sanctions. Certaines personnes ne prennent pas assez de responsabilités notamment au niveau des instances sportives. Est-ce que la plainte est recevable à juste titre pour aller au tribunal ? C’est difficile de mettre des mots sur une telle problématique au final.
Concernant les sanctions sportives, l’Union Belge a par exemple réuni des magistrats pour mettre en place une structure exécutive pénale afin de prendre des décisions et des sanctions par rapport au racisme dans le sport. Donc effectivement il pourrait y a voir des sanctions sportives et encourager le monde du sport à faire un pas de géant sur ces problématiques de discriminations.
Finalement pour accompagner les sportifs et organisations sportives, ne faudrait-il pas mesurer l’impact de ces grands événements sportifs sur la société ? C’est-à-dire donner des outils aux instances sportives pour qu’ils puissent mieux réaliser l’impact qu’ils vont jouer sur toute la société quand ils organisent un grand événement sportif ?
TW : A mon sens il est nécessaire de donner la possibilité aux personnes et citoyens de donner leur avis et leur expérience sur un grand événement sportif. Il y a deux paramètres : premièrement il y a les sondages en amont pour pouvoir préparer l’événement. La deuxième étape serait de pouvoir interroger un maximum de ces participants de l’événement afin de comprendre en profondeur leur ressenti et leur avis afin d’améliorer les futures organisations d’événements. Si nous parvenons à faire cela, nous aurons réussi à associer un maximum de cultures différentes qui nous permettraient d’avancer ensemble et ainsi pouvoir éviter certaines discriminations à l’avenir.
Merci beaucoup M. Witsel, si nous vous laissions le mot de la fin ?
TW : J’aimerais terminer par un proverbe africain que j’aime beaucoup : « On ne peut pas peindre du noir sur du noir, on ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, on a besoin de l’un et de l’autre pour se révéler ». Ce proverbe résume bien cette société multiculturelle qui est la nôtre.