« Interrogeons la façon dont on produit la performance sportive et son coût social »

 

Après une carrière auréolée de succès, l’ancien athlète Stéphane Diagana continue de s’investir dans le champ du sport. Il est depuis 2023 coprésident du Comité national pour l’éthique et la vie démocratique dans le sport, une instance qui a publié en décembre un rapport visant à rendre le sport français plus démocratique, plus éthique et plus protecteur.

Dans votre rapport, vous mettez l’accent sur « les difficultés à faire vivre de façon satisfaisante la démocratie fédérale dans le sport ». Comment peut-on revitaliser ce lien selon vous ?

Lors des auditions menées, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une sorte de déconnexion entre la vie fédérale et la vie des clubs. Or, une fédération sportive, c’est avant tout une association de clubs sportifs. Cette déconnexion entraîne une sorte d’isolement de la vie fédérale, et potentiellement, un manque de contrôle, qui peut expliquer certains des problèmes rencontrés : de gouvernance, de transparence, de fonctionnement.

Il nous semblait donc essentiel, dans la continuité de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, de renforcer la présence des clubs au cœur de la vie fédérale, et pas seulement lors des assemblées électives. Nous parlons dans le rapport de créer des espaces d’échanges. Nous pouvons nous inspirer de ce que l’on voit dans la vie civile, comme le droit d’initiative par exemple. Tout ceci nous semble nécessaire pour une revitalisation de la vie démocratique dans les fédérations sportives.

« Le mouvement sportif est en retard sur les modalités internes de contrôle »

Vous appelez également à la création d’un organe sous l’égide du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) dédié à l’éthique. Quel serait son rôle ?

Les réalités entre les fédérations sont très diverses : certaines ressemblent à de grosses PME, alors que d’autres sont plus petites. Il nous apparaît nécessaire que le CNOSF reprenne toute sa place en la matière, à la fois pour pallier d’éventuelles carences organisationnelles au sein des petites fédérations mais aussi pour se positionner face à des comités d’éthique dysfonctionnels. Il ne s’agirait pas d’une instance d’appel, mais d’un organe disponible pour aborder ces sujets correctement.

Sur le plan de l’éthique, nous soulevons aussi le besoin de garantir l’indépendance des responsables et des membres des comités d’éthique, de mettre en place un pouvoir d’auto-saisine ou encore la nécessité de publier les avis. En ce qui concerne les modalités internes de contrôle, le mouvement sportif est en retard par rapport au monde de l’entreprise. Certaines fédérations se rendent compte qu’il s’agit d’un enjeu d’attractivité vis-à-vis de leurs partenaires. L’opinion publique y est aussi très sensible.

07/12/2023 ©Ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques Stephane DIAGANA, Amélie OUDÉA-CASTÉRA, Marie-George BUFFET

Préserver l’intégrité du sport nécessite quelquefois une conciliation avec les libertés fondamentales dont jouissent les athlètes. L’athlète de haut niveau est-il suffisamment protégé selon vous ?

Tous les secteurs s’interrogent sur la façon dont on produit la performance, et sur son impact sociétal. Dans le monde de l’entreprise, on parle beaucoup des risques psychosociaux par exemple. Ici aussi, le sport a un peu de retard sur cette réflexion. Comment veut-on produire la « performance sportive » ? À quel coût social ? Doit-on renforcer ou abandonner le double projet sportif des athlètes ? Cela donne lieu à des débats en interne sur les modèles à défendre et les droits à renforcer pour être compétitifs face aux autres nations sportives, mais aussi faciliter l’après-carrière des sportifs.

J’ai eu l’occasion de l’évoquer quand j’étais à l’Agence mondiale antidopage et à la Commission des athlètes. Il s’agit aussi d’un facteur de prévention du dopage, car un sportif qui sait qu’il pourra avoir un avenir au-delà du sport sera moins tenté de recourir à des produits dopants lorsqu’il sera en difficulté.

Les fédérations ont une part de responsabilité à ce sujet. Je n’ai pas de problème vis-à-vis de l’obligation de certaines fédérations envers leurs sportifs de s’investir complètement dans le sport, si elles sont présentes lorsque l’athlète arrête sa carrière ou est en difficulté. Les fédérations pourraient aussi faire le choix de renforcer le  double projet en considérant que c’est un facteur de performance à tous les niveaux, comme j’ai pu l’expérimenter au cours de ma carrière. Il y a aujourd’hui peu de visibilité sur la carrière d’un sportif une fois qu’il est sorti des listes ministérielles. Dans nos recommandations, nous avons donc demandé un meilleur suivi de ces questions, avec des indicateurs qualitatifs et quantitatifs, fédération par fédération, afin qu’une évaluation de la situation soit intégrée dans le pilotage du contrat de délégation entre l’État et les fédérations.

 


Cet article a été publié dans la revue Sport et Citoyenneté n°57 : Protéger l’intégrité du sport

 





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