Héritage,inclusion, éthique : les leçons des Jeux de Paris 2024

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques lors de Paris 2024 revient sur les enjeux des Jeux : leur organisation, leur impact sociétal, et les défis pour pérenniser un héritage sportif inclusif et durable en France au micro de notre directeur général, Julian Jappert, durant les Conférences Citoyennes du Sport organisé par notre Think tank le 18 décembre dernier.

 

Avez-vous été étonnée du résultat de ces Jeux ?

Oui et non. Ces Jeux ont montré que la France est capable de grandes choses quand elle s’y consacre pleinement. Le travail acharné de nombreux acteurs – Tony [Estanguet], le COJO, les collectivités, le gouvernement – a porté ses fruits. Mais ce qui m’a surpris, c’est l’alchimie. Au-delà de l’organisation parfaite, il y a eu cette magie humaine : l’engagement des champions, l’énergie du public, ces moments de fraternité qui ne peuvent pas être planifiés.

 

Le Think tank Sport et Citoyenneté vous a beaucoup sollicitée sur l’héritage des Jeux. Qu’en pensez-vous aujourd’hui, au regard des précédents Jeux qui n’ont pas particulièrement brillé sur ce sujet ?

À propos de l’héritage, il y a vraiment un carré magique d’exigences à réunir pour que ça marche. Il faut qu’on ait pensé à tous les détails en termes d’organisation. Il faut que nos athlètes soient au meilleur de leur performance, parce qu’on savait que s’il n’y avait pas eu des médailles en nombre, cela n’aurait pas été la fête populaire que cela a été. Il faut embarquer les territoires afin que nous n’ayons pas des enfants qui voient les épreuves sous leurs fenêtres et qui se sentent ostracisés, qui se sentent relégués, éloignés de tout cela. Et la quatrième et dernière condition, c’est l’héritage.

Cet héritage, il fallait l’anticiper. Le porter en amont par des discussions avec tous les partenaires et les présidents de fédérations pour éviter à des enfants et des familles d’attendre un mois et demi après la fin des Jeux pour avoir la chance d’acquérir une licence sportive dans un club et in fine de pratiquer une activité physique.

J’étais obsédée par cela. Et je disais toujours à mes plus grands partenaires, il faut qu’on anticipe parce qu’il va y avoir une vague et il faut qu’on sache y répondre. Il faut que cet afflux de licenciés, qui est une chance extraordinaire pour le sport français et son avenir, nous arrivions à le capturer. Il faut qu’on soit au rendez-vous, y compris en termes de ressources humaines, d’où cette mobilisation des services civiques et le fait qu’on ait vraiment veillé à promouvoir et accompagner le bénévolat, à la fois sur le volet de la reconnaissance de l’engagement bénévole et de la formation de ces derniers. C’était capital pour moi.

 

En pratique, qu’avez-vous mis en place avec votre ministère et les instances sportives ?

Depuis plusieurs années, nous avons mis en place des initiatives concrètes, comme le programme des « clubs inclusifs ». En collaboration avec le CPSF, l’État, nos partenaires, la Ville de Paris et le COJO, nous avons permis à 3 000 clubs de se former à l’accueil des personnes en situation de handicap. Cela s’accompagne d’un travail sur les équipements sportifs, un aspect souvent moins visible, car les collectivités locales jouent déjà un rôle central avec 9 milliards d’euros investis chaque année. Mais l’État a également réalisé un effort financier inédit, avec 1,2 milliard d’euros injectés dans les infrastructures sportives depuis 2017 – un niveau jamais atteint sous la République.

Cela reste insuffisant, bien sûr, car les besoins sont immenses. C’est pourquoi j’ai demandé le lancement du plan d’équipement « Génération 2024 » pour prolonger ces efforts. Par ailleurs, nous avons démontré que le sport peut s’ouvrir et bâtir des alliances fortes, notamment avec le monde de la culture à travers l’Olympiade culturelle, ou encore avec les associations de solidarité et le secteur médico-social. Cette démarche inclusive s’est traduite par une multiplication par cinq des bénéficiaires, l’engagement de 10 000 clubs sportifs et la création d’emplois d’accompagnateurs sociosportifs.

Enfin, je voudrais insister sur un autre pilier essentiel : l’éthique et l’intégrité dans le sport. Cela inclut la lutte contre toutes les formes de violence, notamment les violences sexuelles. C’est un domaine où des bases solides ont été posées, mais où l’élan doit continuer. De nombreuses politiques publiques méritent encore d’être approfondies à ce sujet.

 

Quel a été le rôle pour les partenaires privés dans cette dynamique ? Quel conseil leur donneriez-vous pour investir dans des projets sportifs avec une plus-value sociétale ?

Dans le contexte actuel des finances publiques, le soutien des entreprises privées est absolument essentiel. Pendant les Jeux olympiques et paralympiques, les 80 partenaires ont joué un rôle clé : sans eux, l’équilibre économique du COJO n’aurait pas été possible et l’impact sur le contribuable aurait été bien plus lourd. Ce partenariat s’est aussi manifesté lors de la Grande Cause nationale dédiée à l’activité physique et sportive, une première pour le sport en près de 50 ans. Grâce à ces partenaires, nous avons pu organiser près de 3 000 événements partout en France, dynamisant ainsi les territoires. Il est crucial de poursuivre sur cette lancée et, comme cela a été fait pour les Jeux, d’encourager des actions fortes pour stimuler la pratique sportive, y compris en entreprise et auprès de leurs collaborateurs, parce qu’on sait qu’aménager le temps de travail pour intégrer le sport, avec des événements ou des équipements mutualisés, envoie un message fort : prendre soin de soi est essentiel. De plus, une pratique régulière améliore le bien-être, renforce la confiance en soi et favorise la cohésion d’équipe au sein de l’entreprise.

 

La France a accueilli les Jeux et gagné des médailles, mais pour de nombreux observateurs, elle n’est pas encore une nation sportive. Comment y remédier ?

Il existe un alignement et une communauté d’intérêts autour du développement du sport en milieu scolaire. Pour transformer notre nation de grands sportifs en une grande nation sportive, il est essentiel d’accélérer le sport à l’école. Les 30 minutes de sport quotidien constituent une brique de base indispensable et doivent être pleinement déployées. En parallèle, nous devons augmenter le nombre de places en sport-études et intégrer davantage l’activité physique et sportive dans la vie de nos jeunes. Cela est bénéfique non seulement pour leur bien-être, mais aussi pour leurs capacités cognitives.

Moi, je suis très fière d’avoir porté la multiplication par trois du nombre de places en sport-études ; il faut que maintenant cela se traduise dans la réalité. Nous devons continuer à animer ce point, mais plus largement, il faut que nous soyons capables de faire plus de place dans la vie de notre jeunesse pour l’activité physique et sportive.

Actuellement, les deux heures de sport supplémentaires pour les collégiens peuvent sembler un recul, mais je préfère y voir une stratégie de recul pour mieux sauter. Cela signifie renforcer les partenariats entre les établissements scolaires et les clubs sportifs, soutenus financièrement par l’État et les collectivités locales. Le transport scolaire, assuré par les collectivités, est aussi crucial pour permettre aux jeunes de pratiquer le sport l’après-midi.

Pour répondre à ce défi, il est nécessaire de renforcer la gouvernance territoriale du sport, en s’appuyant sur les conférences régionales. Ces instances sont les espaces privilégiés pour coordonner les efforts entre l’État, les collectivités locales, le mouvement sportif et les acteurs privés. En poursuivant cette dynamique, nous pouvons espérer voir une véritable transformation de notre approche du sport en France. Ce changement est bon pour les capacités cognitives et le bien-être des jeunes. Il ne fait aucun doute que cela est profondément ancré dans nos cœurs.

En conclusion, une nation sportive émergera seulement si nous faisons des efforts concertés pour améliorer le sport à l’école et si nous renforçons les partenariats nécessaires pour soutenir cette initiative. Le sport est une clé pour le bien-être et le développement de nos jeunes, et il est de notre devoir de leur offrir toutes les opportunités possibles.

 

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques lors de Paris 2024, s’est entretenue avec Julian Jappert, Directeur général de Sport et Citoyenneté, durant les Conférences Citoyennes du Sport organisées par le Think tank le 18 décembre 2024 dernier à Paris. Interview vidéo ici.





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