Euro 2022 et Tour de France Femmes : derrière les grands évènements sportifs, quelle place pour les femmes dans le sport ?
Par Eva Jacomet, chargée de mission, Think Tank Sport et Citoyenneté
La phase de poules n’est pas encore finie mais l’Euro 2022 de football en Angleterre a déjà fait tomber le précédent record de l’édition ayant rassemblé le plus de spectateurs. Ces chiffres attestent de l’engouement croissant pour le football et le sport féminin dans un été 2022 qui couronnera également le retour du Tour de France féminin. A deux ans des Jeux de Paris 2024 qui se veulent premiers jeux paritaires, point d’étape sur les évolutions du sport féminin et les défis à relever pour un secteur sportif plus égalitaire.
Développer la pratique sportive des publics féminins
En France, comme ailleurs en Europe si la situation évolue positivement depuis plusieurs années, il demeure encore un écart entre pratique sportive masculine et féminine. Entre 2009 et 2015, la pratique sportive féminine a augmenté de manière significative, plus de 45% des femmes pratiquaient ainsi une activité physique régulière en 2015, contre 40% en 2009. Malgré cette féminisation significative, les hommes demeurent plus nombreux à pratiquer une activité sportive.
On observe également des inégalités plus insidieuses, liées à l’âge, à la pratique licenciée, au choix de la discipline sportive. Les données les plus récentes attestent ainsi d’un premier décrochage de la pratique sportive féminine à l’adolescence[1], puis d’un second à l’âge du premier enfant. A l’adolescence comme à l’âge adulte, les motifs de ce décrochage sont divers : manque de temps, inadéquation de l’offre sportive face à leurs attentes, manque de créneaux réservés à la pratique féminine, structures sportives non adaptées etc.
Les femmes sont également moins nombreuses à détenir des licences sportives, en 2018 elles détenaient ainsi seulement 38,3% des licences sportives en France. Certaines disciplines restent par ailleurs peu féminisées : elles sont largement minoritaires parmi les adeptes des sports collectifs et de raquette, alors qu’elles sont surreprésentées en danse et en gymnastique. Ces choix, malgré de nettes évolutions constatées ces dernières années, attestent de la prégnance encore forte de stéréotypes de genre dans le choix de la discipline, ce dès le plus jeune âge. L’activité sportive choisie par les enfants (ou leurs parents) est encore souvent fonction des valeurs qu’elle véhicule : grâce, souplesse, esthétisme pour les filles ; endurance, force et esprit de compétition pour les garçons.
Ces données montrent un accès encore différencié entre hommes et femmes à la pratique sportive. Elles mettent en lumière les défis à relever et ouvrent la voie à une réflexion sur les leviers à actionner pour y remédier.
Vers un traitement médiatique égal ?
Ces inégalités face à la pratique sportive peuvent être expliquées en partie, par un déficit d’identification face à la discipline, du fait notamment, du manque de visibilité des sportives de haut-niveau dans les médias. Le sport féminin y est largement sous-représenté, que l’on parle de la presse écrite, de la télévision, la radio ou les réseaux sociaux et médias en ligne. C’est particulièrement marqué quand il s’agit de pratiques perçues comme traditionnellement « masculines » comme les sports collectifs. Les dernières études ayant analysé les rubriques sportives montrent ainsi que les quotidiens nationaux ne consacrent que 5 à 10 % de leurs articles au sport féminin. Constat similaire à la télévision où l’on estime que la part du sport féminin se situe entre 16 et 20 % toutes chaînes confondues, bien au-delà cependant des 7% relevés en 2012.
La seule exception à cette tendance de fond sont les grandes compétions internationales comme les Jeux Olympiques et Paralympiques. Pendant les derniers Jeux à Tokyo, la finale de handball féminin remportée par l’Équipe de France a réuni 4.2 millions de téléspectateurs (58.3% de parts d’audience) pour France Télévisions, soit la meilleure part d’audience sur l’ensemble des JO. L’importante médiatisation accordée à l’Euro 2022 de football s’inscrit dans cette dynamique positive, le match d’ouverture des Bleues a ainsi réuni 4,4 millions de téléspectateurs en prime time sur TF1, co-diffuseur du match avec Canal+, une audience qui a permis à la chaîne d’arriver largement en tête face aux autres chaînes. A titre de comparaison le match d’ouverture des Bleues en 2017 avait réuni 3,3 millions de téléspectateurs.
Cette médiatisation croissante répond à l’engouement du public, un sondage ODOXA paru en 2019 révélait ainsi que 88% des français jugeaient que le sport féminin est sous-médiatisé, alors que 87% des amateurs de sport interrogés affirmaient vouloir voir davantage de sport féminin à la télévision.
Reste désormais à maintenir cette dynamique, à l’étendre aux championnats nationaux et à valoriser un traitement médiatique équitable distant de tout stéréotype de genre.
Renforcer la place des femmes dans les fonctions clés de l’encadrement sportif et aux postes à haute responsabilité
Le besoin d’identification ne se borne pas pour autant, aux seules sportives de haut-niveau. Il concerne également les postes clés de l’encadrement sportif et les fonctions à haute responsabilité du secteur sportif. Educatrices sportives, entraineuses, arbitres, dirigeantes sportives sont plus rarement dans la lumière, elles n’en demeurent pas moins des rouages essentiels du secteur sportif.
Difficile donc d’ignorer la faible présence des femmes à ces postes-clés, puisqu’elles ne représentent que 36% des encadrantes sportives, et qu’on ne compte que 3 présidentes sur 36 fédérations olympiques en France, à l’heure actuelle. Si le mouvement vers la parité est bien engagé en témoigne l’élection de Brigitte Henriques à la tête du CNOSF en 2021, ainsi que la récente loi sport adoptée en février 2022 qui établit la parité dans les instances nationales et locales à horizon 2024 et 2028, la problématique de l’accès des femmes aux métiers de l’encadrement sportif demeure sous-traitée. A cet égard, Sport et Citoyenneté s’est engagé aux côtés de la Fédération Nationale Profession Sport et Loisirs, la Fédération Française de Cyclisme et Femix’Sports dans le cadre du projet Des Métiers Pluri’Elles qui vise à favoriser l’accès des publics féminins aux formations et métiers de l’encadrement sportif.
Garantir un meilleur accès à ces postes clés aux femmes c’est d’une part ouvrir de nouveaux horizons professionnels pour les jeunes filles. En partant du constat que ce qui n’est pas visible n’existe pas, difficile pour une jeune fille de se projeter sur ces métiers si elle ne voit pas de femmes les exercer. C’est donc, au même titre qu’une meilleure mise en image des sportives de haut niveau, créer de potentielles roles models., et rendre in fine le secteur sportif plus sensible aux questions d’égalité
Atteindre l’égalité femmes- hommes dans le sport induit un engagement fort du mouvement sportif couplé à une volonté politique. A cet égard, le nouveau plan d’action de la Commission Européenne « Vers l’égalité femmes – hommes dans le sport » publié cette année saluent les efforts engagés au sein des Etats membres mais il soutient également que le rythme des réformes doit être accéléré pour renforcer l’accès au sport des publics féminins. Ce plan d’actions consacre 6 domaines d’intervention parmi lesquels figure notamment la participation, la couverture médiatique, l’encadrement sportif et l’arbitrage, trois défis de demain, en France comme en Europe, pour un meilleur accès de toutes au sport.
[1] Entre 12 et 14 ans 66 % des filles pratiquent ainsi une activité sportive contre 77 % des garçons. Entre 15 et 17 ans, ce chiffre est en baisse pour les pratiquantes, 54 % des filles font encore du sport alors qu’il demeure stable chez les garçons.