Etnoliga : un peu de soleil en ces temps sombres

par Krzysztof Jarymowicz, Project manager Etnoliga, Fundacja dla Wolnoci

Partenaire du projet européen FIRE, la Fundacja dla Wolności (Fondation pour la Liberté) mène en Pologne de nombreux projets innovants d’inclusion par le sport. C’est le cas d’Etnoliga, un programme interculturel de football lancé en 2010 à Varsovie.

« C’est chouette d’être de retour ici ! ». Cette exclamation, je l’ai entendue à plusieurs reprises lors de cette fraîche journée de mi-mars où nous avions la chance de tenir, entre deux confinements, un de nos tournois Etnoliga. Enfermés à la maison, nous nous étions battus avec le manque de mouvement, le surpoids, la déprime. Il était grand temps d’aller dehors taper dans le ballon ! Environ soixante hommes et femmes furent au rendez-vous, un sacré mélange de Polonais, Mexicains, Marocains, Sénégalais, Tanzaniens. Finalement, nous avons eu droit à toute une journée de jeu et de joie.

Le football apporte un peu de soleil en ces temps sombres, sans aucun doute. Plus il nous manque, et plus nous nous rendons compte combien son rôle est important. Il ne s’agit pas seulement de courir et de transpirer ; il s’agit surtout de réunir les gens et de poursuivre des objectifs communs. A voir ces adultes courir dans tous les sens comme des enfants, on comprend vite pourquoi les initiatives liées au sport ont autant d’impact. Ici, le progrès social est visible dans le sourire des gens.

Je n’ose pas comparer le confinement à l’expérience de migration forcée, mais la confusion, l’isolation et le stress que nous subissons tous à l’ère de la Covid nous en donnent une petite idée. Je comprends peut-être mieux maintenant ce que Jean, un demander d’asile venu d’Afrique centrale, voulait dire quand il m’a glissé après sa première séance de football : « Pour la première fois depuis des semaines, j’ai passé un moment sans penser à mon passé ou à mon avenir… ».

Au sein d’Etnoliga, cela fait quinze ans que nous nous efforçons de promouvoir la diversité et de soutenir des groupes défavorisés – des réfugiés, mais aussi des femmes ou des personnes LGBTIQ. En novembre 2020, le comité exécutif de l’UEFA a reconnu notre travail en nous octroyant sa distinction pour le meilleur projet de football de masse. Même des personnes peu intéressées par le sport ou sceptiques par rapport à notre travail se sont montrées impressionnées. Ce prix est une confirmation : je reste conscient de nos faiblesses, mais j’ai été renforcé dans conviction qu’il y a un sens profond dans ce que nous faisons.

Il est vrai que la distinction ne comporte, malheureusement, pas de volet financier, mais j’espère qu’il facilitera la recherche de donateurs et contribuera à la pérennité du projet. Pendant la cérémonie de remise des prix, j’ai eu l’occasion d’expliquer notre vision selon laquelle le football joue le rôle de créateur de lien social entre les segments d’une société hautement polarisée. Il nous fallait simplement le repenser et l’utiliser d’une manière différente. La clé est de changer de perspective et de voir le football non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen.

En Pologne, le sport et le progrès social ne sont toujours pas connectés entre eux. La responsabilité sociale des clubs de football se résume à économiser l’eau ou à réduire l’usage du plastique, puis à des actions ponctuelles pour des enfants malades. Il n’y a rien à y redire, bien sûr, mais je n’ai pas entendu parler d’un seul club polonais de première division qui aurait un programme pour réfugiés. Ce que j’ai entendu, cependant, est que l’un d’entre eux ne souhaitait pas voir apparaître ses supporters noirs sur son site web, puisque cela « risquait de ternir l’image du club ».

Autre exemple : dans beaucoup d’appels à candidature pour obtenir des financements, les candidats obtiennent des points de bonus pour leurs réussites sportives, mais aucune question n’est posée sur la parité ou l’égalité des chances au sein des activités proposées. Comme me disait le manager d’un club,  « pas un centime d’argent public ne devrait être investis dans ces Nègres ». Ce type d’affirmation est affligeant, mais il n’est que le symptôme d’un nombre de phobies qui imprègnent l’industrie du football contre tout changement positif. Suis-je surpris d’apprendre que ce n’est « pas encore le moment » pour une femme d’entraîner l’équipe nationale féminine ? Même pas. Notons qu’il n’était pas trop tôt pour le Soudan du Sud, le pays le plus jeune de la planète, qui vient d’engager Shilene Booysen pour ce poste. Ce qui m’a surpris, en revanche, c’était d’entendre Katarzyna Kiedrzynek, la capitaine de l’équipe polonaise, affirmer tranquillement lors d’une conférence de presse en février que « chaque personne a le droit d’être ce qu’elle veut être, et il ne nous appartient pas de la juger en fonction de sa sexualité, sa religion ou sa couleur de peau. »

C’était bien la première fois que nous avons entendu une telle déclaration de la part d’un professionnel de football. Il faut de la résilience pour continuer de parler de diversité quand les autorités ont un sérieux problème avec l’État de droit. Les droits des femmes ou des personnes LGBTIQ ne sont pas des priorités pour l’État polonais, ni pour la partie conservatrice de la société. Mais le conflit politique et la polarisation semblent provoquer un repositionnement. Les individus cherchent intuitivement la présence de ceux qui partagent leurs convictions, mais ils tendent aussi à devenir plus réceptifs pour des idées et activités nouvelles. En fin de compte, cette tendance ne fait que pousser plus de personnes vers Etnoliga, participants ou bénévoles. L’absence d’offre sérieuse de la part de clubs ou communautés qui pourraient en bénéficier reste un mystère pour moi. Le football, perçu par beaucoup comme un problème plutôt qu’une opportunité, est toujours considéré par l’extrême-droite comme son domaine réservé. C’est pour cela qu’il est si important de promouvoir des pratiques différentes et de mettre en avant les initiatives de terrain.

Dans un tel contexte, je suis heureux de faire partie de projets comme FIRE. Non seulement cela me donne l’opportunité de travailler avec des experts d’autres pays, où le football à but social est davantage développé, mais aussi de disséminer ces idées dans mon propre pays. C’est aussi grâce au soutien de programmes européens que nous pouvons régulièrement inclure des réfugiés dans nos activités et organiser de manière plus ou moins stable des activités dans les centres d’hébergement de demandeurs d’asile. Le défi qui demeure est de susciter l’intérêt des parties prenantes et de les motiver à changer.

Nous ne sommes qu’une petite organisation, avec des capacités limitées et nous devons nous concentrer sur notre communauté locale. Ce qu’il faut, plus que jamais en ces temps troubles, ce n’est pas une, mais plusieurs Etnoligas.