« Nous visons un environnement totalement sécurisé pour nos athlètes »
À la faveur d’un changement de gouvernance, la Fédération Française des Sports de Glace (FFSG) a lancé le projet SAYES. Ce projet européen, soutenu par vise à prévenir durablement les violences en mutualisant les efforts internationaux. Pour Gwenaëlle Noury, présidente de la FFSG et Jae Youl Kim, président de la Fédération internationale de patinage (ISU), il s’agit de garantir un environnement sécurisé et épanouissant pour tous les jeunes athlètes.
Vos deux fédérations sont respectivement leader et partenaire du projet européen SAYES. Pour quelles raisons vous êtes-vous engagés sur ce projet ?
GN : En 2020, à la suite d’un changement politique majeur au sein de la Fédération Française des Sports de Glace (FFSG), la nouvelle gouvernance et celle qui a suivi ont choisi de pleinement s’investir dans la lutte contre les violences et la protection des athlètes. Le patinage, sport à maturité précoce, nécessite des pratiques sécurisées et une sensibilisation des parties prenantes. En tant que mère de trois enfants, dont deux patineurs, cet enjeu me touche particulièrement. Je souhaite que tous les jeunes patineurs évoluent dans un environnement protégé et épanouissant.
À travers le projet européen SAYES, soutenu par Erasmus+ Jeunesse, la FFSG s’engage dans une démarche de changement collectif à l’échelle européenne. Ce projet repose sur des actions concrètes et un travail collaboratif avec nos partenaires européens (Pays-Bas, Hongrie) pour élaborer les meilleures solutions adaptées à chaque pays. En partageant nos ressources, nous aspirons à établir un environnement serein et sûr dans le monde des sports de glace.
JYK : Je suis pleinement engagé à faire en sorte que le bien-être des athlètes soit la priorité absolue de l’ISU, avec la protection comme élément central. Les patineurs doivent pouvoir pratiquer leur sport dans un environnement sûr et équitable, c’est pourquoi la protection des athlètes est l’un des cinq piliers de la Vision 2030 de l’ISU. Assurer une culture et une pratique du sport sûr est un effort d’équipe, et il est encourageant de voir nos fédérations membres adopter une position proactive, comme la FFSG avec le projet SAYES.
Malheureusement, les recherches montrent qu’aucun sport et qu’aucun pays n’est exempt de maltraitance des athlètes – qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelle. C’est pourquoi il est crucial d’avoir les bonnes politiques et pratiques en place. L’ISU voulait apprendre du projet SAYES, pour partager des documents et des conseils avec d’autres membres en dehors de l’Europe. Nous étions également très intéressés par le développement d’un module d’apprentissage en ligne, qui s’intégrera dans notre stratégie d’éducation à la protection. Ce module sera bientôt lancé et nous nous attendons à ce qu’il soit très réussi et impactant. Destiné aux jeunes patineurs de 12 à 16 ans, il leur enseigne leurs droits et comment gérer des situations difficiles. Bien qu’il soit destiné aux jeunes, les fédérations, les clubs, les entraîneurs et les dirigeants peuvent aussi en apprendre beaucoup.
A l’échelle nationale, comment la FFSG appuie-t-elle les clubs et les ligues sur ces sujets ?
GN : Nous avons adopté plusieurs mesures-clés pour poursuivre notre engagement. Un référent intégrité a été désigné comme point de contact pour toute personne en difficulté. Cette référente, choisie pour sa bienveillance, reçoit les signalements de violences sexuelles et autres, s’inspirant du dispositif ministériel Signal Sport. Un processus de labellisation des clubs a été mis en place, incluant une formation sur la prévention des violences en collaboration avec l’association Colosse aux Pieds d’Argile. Les premiers retours des clubs sont positifs, confirmant l’efficacité de cette démarche. La collaboration avec l’association sera renouvelée pour continuer à proposer des solutions adaptées et un accompagnement psychologique et juridique pour les victimes. Conformément à la loi du 2 mars 2022, la FFSG a instauré des licences spécifiques pour les entraîneurs et dirigeants afin de contrôler leur honorabilité, garantissant ainsi la sécurité des jeunes athlètes. Des badges de prévention contre les violences ont été intégrés dans les brevets fédéraux pour former les jeunes encadrants dès 14 ans à adopter des comportements respectueux. Enfin, le projet Sentinelle, élaboré avec l’Agence Nationale du Sport, vise à former des référents au sein de chaque ligue et club pour intervenir rapidement face à tout type de violence, avec un accent particulier sur les violences sexuelles. Ce programme repose sur une structure en cascade : les référents des ligues, formés par l’association « Prévention et Bienveillance dans le Sport », deviennent à leur tour formateurs pour les clubs, garantissant une continuité de la démarche. Le référent sentinelle, présent dans chaque club, assure une proximité indispensable pour sensibiliser, accompagner, et agir efficacement. Cette approche, validée par la fédération et le ministère des Sports, illustre un engagement collectif à instaurer un cadre intègre et sécurisé à tous les niveaux.
Au niveau international, quel est le soutien apporté par l’ISU à ses fédérations membres ?
JYK : Il est de notre devoir de faire plus que simplement offrir un soutien. Nous devons montrer l’exemple et avons fait des progrès significatifs. En mai 2022, nous avons publié notre politique de protection des athlètes, avec des liens vers des documents du CIO, des Nations Unies et d’autres organisations pour aider les membres de l’ISU à comprendre l’importance de cette question et à créer leurs propres politiques et procédures. Nous avons également embauché un responsable de la protection dédié qui évalue la situation actuelle des membres de l’ISU, les rencontre pour discuter des problèmes communs et élabore des documents pour les aider à développer leurs systèmes, surtout s’ils n’ont pas déjà quelque chose en place.
Je voulais vraiment placer la protection au cœur de nos actions, car il est vital de parler de ce sujet pour que nous puissions apprendre les meilleures pratiques en tant que communauté. Nous avons invité Kirsty Burrows, responsable du sport sûr au CIO, et la patineuse Gracie Gold à parler de la protection et de la santé mentale lors du Congrès de l’ISU 2024. Elles ont partagé des recherches, des développements ainsi que des expériences personnelles, qui ont été très bien reçues par les délégués. De plus, l’ISU apportera un soutien financier à ses membres en 2025 et 2026 afin de les aider à renforcer leurs efforts de protection, en comprenant bien que la situation et les défis rencontrés par chaque fédération sont uniques. Certains minimas sont requis, comme le fait d’avoir une politique et des procédures sur le sujet, d’identifier et de former une personne dédiée à la protection et de créer et mettre en œuvre un plan de communication. Les fédérations qui ont déjà ces éléments utiliseront ces fonds pour mieux sensibiliser et former leurs patineurs, entraîneurs et staff ou soutenir les athlètes et leurs parents.
Il est souvent difficile pour les jeunes sportifs de s’exprimer sur ce sujet. Comment faciliter cette libération de la parole ?
GN : Il est essentiel d’instaurer un climat de confiance pour recueillir la parole des victimes. Cette confiance repose sur la formation, la pédagogie et la sensibilisation, créant un sentiment de sécurité indispensable pour encourager l’expression des victimes. Nous comprenons que les victimes portent souvent un lourd fardeau de culpabilité injustifiée ; il est donc crucial de leur offrir des interlocuteurs bienveillants et compétents pour alléger ce poids. Pour encourager la prise de parole, la FFSG a mis en place des initiatives adaptées. Au-delà des signalements formels, nous proposons des outils plus accessibles aux jeunes, comme un outil d’apprentissage en ligne, et envisageons de développer une boîte aux lettres numérique anonyme. Ce dispositif, inspiré par une approche de soutien et non de jugement, facilite l’expression et vise à stopper les comportements nuisibles tout en offrant un soutien approprié. Une attention particulière a été portée au volet juridique. Notre structure inclut une référente intégrité, un comité éthique, ainsi que des commissions disciplinaires indépendantes, dirigées par des avocats qui veillent à un traitement impartial et rigoureux des dossiers. En tant que présidente, je m’abstiens d’intervenir dans les décisions de ces commissions pour garantir leur autonomie et préserver l’intégrité du processus disciplinaire. Ce cadre juridique indépendant assure aux victimes une prise en charge équitable et transparente de chaque situation.
« Une médaille, oui, mais à quel prix ? »
JYK : Il est tout à fait compréhensible que les jeunes trouvent difficile de parler de violences sexuelles, ainsi que de toute autre forme de violence, d’intimidation ou de harcèlement. Nous savons également qu’il peut être extrêmement difficile de demander de l’aide, c’est pourquoi nous nous engageons à créer un environnement où les victimes ne se sentent jamais seules. Pour cette raison, il existe plusieurs moyens pour les athlètes de faire un signalement à l’ISU : formulaires de signalement en ligne, par mail ou par téléphone, adressés au responsable de la protection de l’ISU, à notre Commission médicale ou à la Commission des athlètes. Lorsqu’un signalement est reçu, nous accusons immédiatement réception et son signalement est traité avec respect et confidentialité.
Nous savons aussi que les jeunes athlètes sont plus susceptibles de parler à quelqu’un en qui ils ont déjà confiance, comme un parent, un entraîneur ou une personne responsable de la protection dans leur club ou fédération locale. C’est pourquoi nous travaillons à renforcer les politiques et procédures chez les membres de l’ISU et leurs clubs. La protection est la responsabilité de tous dans le sport.
Comment comptez-vous poursuivre ces travaux à l’avenir ?
@ffsportsdeglace
GN : Le projet SAYES touche à sa fin, mais sa mission se poursuit. Notre fédération s’engage à garantir la continuité de cet accompagnement à travers notamment le projet Sentinelle. Nous travaillons sur un module d’apprentissage en ligne pour sensibiliser les jeunes, accompagné d’un certificat de participation. Pour encourager l’adhésion, nous envisageons d’organiser des concours au sein des clubs, permettant aux jeunes de gagner des prix comme des places pour des événements sportifs. Cette approche ludique vise à dédramatiser la prise de parole, en incitant les jeunes à s’exprimer librement. Notre objectif est de rester présents dans les clubs en développant la sensibilisation et la pédagogie pour protéger nos athlètes.
Nous plaçons un fort accent sur la sensibilisation dans la formation continue de nos entraîneurs, en les aidant à établir des limites claires : « Une médaille, oui, mais à quel prix ? ». L’INSEP, avec son expertise dans diverses disciplines, apporte une aide précieuse, notamment par des séminaires d’échanges interdisciplinaires. Bien que les sports de glace aient été particulièrement touchés, d’autres disciplines rencontrent les mêmes défis. Cette dynamique est également soutenue au niveau international, notamment par l’ISU, qui partage notre engagement contre toutes formes de violence. Nos athlètes évoluent dans des compétitions mondiales, et la vigilance doit être constante, que ce soit en France ou à l’étranger.
Nous collaborons avec l’association « La Voix de Sarah » et nous nous intéressons aussi à ce que d’autres organismes proposent tels que « Prévention et Bienveillance », « Second Souffle » et
« France Victimes » pour enrichir les approches de prévention des violences. Les retours du projet SAYES révèlent que les violences sexuelles ne sont pas les seules formes de violences rencontrées dans les clubs ; les violences psychologiques, verbales et morales sont également fréquentes. Nos entraîneurs expriment un besoin croissant de formation pour mieux comprendre et gérer ces problématiques. En réponse, la FFSG envisage un nouveau projet européen dédié à la sensibilisation sur tous ces types de violences.
JYK : Notre priorité est de traiter les cas qui nous sont signalés. L’ISU a organisé la conférence finale du projet SAYES en décembre 2024, abordant différentes perspectives de la protection, du point de vue du CIO, de l’ISU, des fédérations nationales, des entraîneurs et des patineurs.
En 2025 et 2026, nous soutiendrons financièrement nos associations membres pour qu’elles mettent en place des actions de protection, et nous nous assurerons qu’elles utilisent cet argent efficacement, pour améliorer leurs procédures et leurs programmes d’éducation. Nous coopérerons également avec le CIO, les fédérations internationales et d’autres organisations pour développer la protection dans le sport et garantir que l’ISU dispose des meilleurs processus possibles.