Émincé de football à la sauce médias
Rosarita Cuccoli, Docteure en Science politique et spécialiste sport et médias, membre du comité scientifique de Sport et Citoyenneté
Les métaphores alimentaires sont souvent utiles pour condenser en quelques mots, compréhensibles à la plupart des lecteurs, des questions parfois complexes. Tel est le cas de la répartition des droits de diffusion dans le sport. Si en plus le débat concerne un pays aussi « alimentaire » que l’Italie, où la nourriture est un art, ces métaphores s’avèrent particulièrement pertinentes. Depuis plusieurs jours, la question controversée du soi-disant « spezzatino », ici traduit en Français comme « émincé », du calcio italien occupe tous les débats. Il serait question d’étaler les dix matchs du championnat de Serie A sur dix tranches horaires différentes. On ne rentrera pas ici sur le cas spécifique et sur ses protagonistes, et ceci pour deux raisons. La première est que ce genre de problématique est loin d’être propre uniquement au football italien. La deuxième, plus concrètement, est qu’en Italie la question n’a pas encore été réglée, quant au championnat 2021/22, à l’heure où ces lignes sont écrites. Quoi qu’il en soit, l’issue ne changera pas la nature du problème, qui est plus vaste et profonde, et sur laquelle on compte ici s’attarder.
Il était une fois, les médias s’occupaient et se préoccupaient de la couverture des évènements sportifs. Il y avait des organisations qui, justement, organisaient les évènements sportifs et des médias qui couvraient ces évènements, généralement dans cet ordre. Cela fait désormais une cinquantaine d’années que la situation s’est inversée. Compte tenu de l’importance que la diffusion par images a pris dans le système sportif et de la convergence d’intérêts entre l’univers sportif et l’univers médiatique, corroborée par les annonceurs, les horaires des compétitions sont désormais pensés en fonction de l’audience potentielle. C’est la grille des programmes qui détermine la grille des compétitions plutôt que l’inverse. Or, la relation entre le sport et les médias n’a pas été inventée de toutes pièces par la télé. Il suffit de penser à des évènements sportifs majeurs comme le Tour de France ou le Giro d’Italia, qui ont été créés par deux journaux sportifs et bien avant l’arrivée de la télévision – à savoir L’Auto pour le Tour de France (1903) et La Gazzetta dello Sport pour le Giro (1909). Néanmoins, sans vouloir raconter l’histoire de la relation entre le sport et les médias, et même sans la connaître, l’inversion des priorités mentionnée ci-dessus n’a eu son origine ni dans la presse écrite ni au début du XXe siècle.
Toute convergence d’intérêts a vocation à être un multiplicateur de revenus et de ressources, et n’est donc pas du tout un mal en soi. Le sport, tout comme les médias, a besoin d’argent pour pouvoir fonctionner et prospérer. Le « Sport business » n’est pas un diable à éradiquer. Là où cela devient problématique, c’est quand le business, au lieu de promouvoir le sport, risque de le sacrifier. A cet égard, cette tribune va se conclure non pas par une série de réponses ou pire de « leçons », mais par trois questions. Ce sont de vraies questions, pas rhétoriques, car on part du principe que les décideurs sont parfaitement conscients des enjeux au moment des décisions et qu’ils n’ont pas, comme but ultime, de détruire le domaine qui le nourrit. Ce qui parfois fait défaut aux dirigeants, submergés par l’urgence de régler les problèmes, c’est la vision à long terme.
Nous arrivons donc aux trois questions suivantes. D’abord, le « spezzatino », à savoir le manque de simultanéité des rencontres, ne risque-t-il pas de favoriser les équipes qui connaissent déjà un ou plusieurs résultats dont elles sont directement ou indirectement concernées ? Deuxièmement, est-ce que la répartition d’un même championnat sur plusieurs chaines ou la diffusion reléguée à des diffuseurs payants, à savoir des phénomènes qui typiquement accompagnent et définissent le « spezzatino », encouragent ou découragent au final les supporters ? Et pour terminer, une question de société car le sport, avant d’être un phénomène médiatique, c’est un phénomène social : qu’en est-il de la « liturgie » du championnat, anciennement liée à la temporalité du dimanche ou du samedi, selon les pays ? On est bien loin des rencontres une fois par semaine, et les passionnés du sport ont tendance à se réjouir d’une offre élargie, mais peut-on demander au grand rite du match de championnat de demeurer tout aussi puissant et fédérateur lorsque ce rite se répète tous les jours et à toutes les heures ?