Conférence sur la place du sport dans la société

Conseil d’État, 17 octobre 2018

Par Colin MIEGE, Président du Comité Scientifique, Think tank Sport et Citoyenneté

 

L’étude annuelle du Conseil d’État a vocation à faire la synthèse de l’état du droit et à formuler, à partir d’un état des lieux critique, des propositions au Gouvernement sur un sujet aux enjeux forts pour les pouvoirs publics et la société.

Le vice-président et le bureau du Conseil d’État ont retenu comme sujet de l’étude annuelle 2019 le thème du sport.

Dans le cadre de cette étude, un cycle de conférence sera organisé ces prochains mois, sur différentes thématiques sociétales du sport (éducation, santé, gouvernance, économie…). Sport et Citoyenneté a participé à la conférence inaugurale organisée lundi dernier au sein de la haute juridiction administrative.

Cette conférence a montré une fois encore que le sport est un phénomène multiforme, une vision que nous partageons et que nous avons de nouveau exprimée ces dernières semaines, alors que s’ouvre une séquence législative importante pour l’avenir du sport.

Trois intervenants successifs ont proposé des visions très différentes de la place du sport dans la société à l’occasion de cette conférence.

Dans son propos introductif, le vice-président du Conseil d’État Bruno Lasserre a brillamment résumé l’approche française de l’organisation du sport, qui repose sur la notion d’intérêt général reconnue au sport en 1945 (et qui figure aujourd’hui à l’article L 101 du code du sport). Il en résulte une mission de service public attachée à la promotion du sport conçu comme un bien public, mission qui recouvre toutefois des objectifs variés, parfois même contradictoires. Ainsi, tour à tour, le sport a pu contribuer à la défense militaire, à la santé, à l’éducation, à la cohésion sociale. Quant au sport de haut niveau, il participe au rayonnement du pays à l’international.

Une autre caractéristique essentielle du sport à la française est le principe d’unité qui relie le sport pour tous et le sport de haut niveau, et qui se concrétise dans les mécanismes de solidarité mis en place entre les deux formes de sport, et entre les différentes disciplines, notamment avec la redistribution que permet la taxe Buffet.

Cette organisation repose sur l’agrément et la délégation accordées aux organisations sportives, qui oscillent entre autonomie et tutelle. Il s’agit d’un modèle original du point de vue du rôle attribué à l’État, qui n’a guère d’équivalent en Europe et dans le monde. Seul le modèle espagnol pourrait s’en rapprocher.

Du point de vue du financement public en revanche, les collectivités locales prennent une part essentielle, et cette caractéristique est partagée par de nombreux pays.

On assiste cependant aujourd’hui à une remise en cause du modèle français, et notamment de la part prépondérante qui est réservée à l’État, pour plusieurs raisons :

  • l’État, qui n’est pas le financeur majoritaire, contribue au saupoudrage des financements publics, et ne parvient pas à résorber les inégalités ;
  • la médiatisation croissante de certains sports génère des écarts considérables (les droits médiatiques du football sont passés de 510 M€ en 2000 à 1,1 md d’euros en 2010). La mutualisation des revenus est de plus en plus mal acceptée, mettant à mal les principes d’unité et de solidarité ;
  • On s’interroge enfin régulièrement sur la préservation des valeurs du sport, face aux phénomènes de dopage, violence, racisme, ou tricherie dans les paris sportifs ; la puissance publique peinant à endiguer ces dérives.

Approche historique

Georges Vigarello (professeur agrégé, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) a développé avec brio une approche historique, en dégageant ce qui rassemble, mais surtout ce qui distingue les Jeux antiques dépourvus de records, les joutes médiévales réservées aux nobles, ou les carrousels du Grand Siècle reposant sur le beau geste, pour tente de déterminer ce que le sport moderne né à la fin du XIX siècle a inventé de nouveau. La nouveauté fondamentale, c’est qu’à la différence des époques antérieures, tout le monde peut en principe participer aux épreuves sportives. Le sport moderne suppose un système démocratique. Il propose aussi une mise en scène, l’organisation d’un spectacle. A cet égard, la mise en place du tour de France cycliste au début du siècle constitue un exemple majeur (avec le soutien du journal l’Auto). L’autre aspect saillant, c’est la diversification des aptitudes et l’inventivité que permet le sport moderne, qui ne repose plus sur la seule force physique. Ainsi, le sport propose un modèle idéal de société démocratique, qui reste cependant très fragile face aux menaces de tricherie, de ruse ou de violence. Sa préservation suppose une double responsabilité, aussi bien individuelle que collective.

Une gouvernance en question

L’intervention de Jean-Pierre Karaquillo (professeur agrégé de droit à l’université de Limoges, co-fondateur du Centre de droit et d’économie du sport (CDES)) visait à démontrer la place du sport à travers le droit, et à souligner le développement du contentieux dans le sport, qui a engendré une abondante jurisprudence. Son propos a été illustré d’exemples variés, pris dans un passé proche ou plus éloigné.

Sport et politique

Enfin Roselyne Bachelot, ministre des sports de 2007 à 2010, a permis de souligner le lien qui unit le sport au pouvoir politique. Son ministère, adossé alors à celui de la santé, visait à promouvoir une conception hygiéniste du sport, au même titre que la structure adoptée aux Pays-Bas. Ailleurs, le département ministériel en charge des sports peut être adossé à l’Intérieur (Allemagne), à l’Education, à la Culture, voire à la Défense, comme nous avons pu le détailler dans un ouvrage réalisé par notre Think tank. La constitution d’un ministère des sports de plein exercice s’avère rarement une bonne solution, car il pèse alors d’un poids infime (moins de 0, 2% du budget de l’État). Et cet inconvénient est renforcé si le ministère est confié à un ancien sportif, dépourvu de tout réseau dans le monde de la politique et de l’administration.

L’ancienne ministre a narré ensuite son expérience avec Nicolas Sarkozy, président passionné de sport, qui est intervenu de façon incessante dans l’exercice de ses compétences, le point culminant étant sans doute atteint lors du déroulement malheureux de la coupe du monde en Afrique du Sud en 2010, les joueurs de l’équipe de France n’ayant pas hésité alors à se mettre en grève.

La femme politique refait surface lorsqu’elle exprime pour finir ses réserves sur le projet de réforme de la gouvernance du sport actuellement examiné au sein du gouvernement. Un sujet sur lequel notre Think tank s’est d’ailleurs exprimé.

 

Les échanges avec la salle ont permis à diverses personnes, dont Bernard Amsalem, vice-président du CNOSF, d’exprimer à nouveau une inquiétude sur le manque de moyens affectés au sport, tout en soutenant le projet de réforme. Sophie Dion, ex-conseillère du président Sarkozy, s’est exprimée sur les mesures environnementales liées à l’organisation des grands événements sportifs, et Gérald Simon s’est interrogé sur le fait que le sport continue à être assimilé un service public. La notion d’intérêt général a-t-elle encore un sens, et quels peuvent être à présent le rôle et la place de l’État dans le sport ? C’est en reprenant ces interrogations que la présidente de la section du rapport et des études Martine de Boisdeffre a conclu cette première conférence, en annonçant que ces questions occuperaient une place centrale dans le rapport que le Conseil d’État consacrera au sport en 2019, tout comme la question de l’inégalité territoriale.





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