Concilier sport et développement durable
10 octobre 2014
Colin Miège
Président du comité scientifique du Think tank Sport et Citoyenneté
Sylvain Landa
Directeur adjoint du Think tank Sport et Citoyenneté
Historiquement construits autour du seul sport de compétition, les systèmes d’organisation du sport évoluent. Aux nouvelles aspirations des pratiquants répondent des offres sportives variées, faisant la part belle au développement personnel, au bien-être et à la redécouverte de la nature. Des aspirations que renforcent certaines tendances d’évolution de nos sociétés, actuelles et prévisibles, qui redessinent le paysage sportif.
Nos systèmes d’organisation du sport se sont construits sur un modèle historique dominant, celui du sport de compétition. Dans les sociétés agonistiques de la fin du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle, ce type de modèle était largement adapté aux enjeux des Etats. Il répond encore aujourd’hui à une partie des aspirations sociétales, principalement celles de la performance et du dépassement de soi. Force est cependant d’admettre que les grandes tendances d’évolution de nos sociétés – actuelles et prévisibles – nous poussent à imaginer des modes d’organisation et de développement du sport plus ouverts et plus diversifiés.
Favoriser la pratique physique et sportive du plus grand nombre
En premier lieu, l’inactivité physique et la baisse constante de la dépense énergétique individuelle qui caractérisent nos sociétés postindustrielles ultra-informatisées ont atteint un niveau inégalé à ce jour. L’omniprésence des écrans – télévision, internet, ordinateurs et autres mobiles – nous permet d’être connectés au reste du monde, mais nous oblige à conserver une position statique durant la majeure partie de nos journées. Le déficit de dépense physique qui en résulte pose depuis déjà bien des années un problème collectif de santé, les préconisation de l’Organisation Mondiale de la Santé quant à une activité physique quotidienne minimale n’étant guère respectées Il est devenu impératif en particulier de redonner le goût de la dépense physique à des jeunes générations dont l’attention est accaparée trop exclusivement par les écrans, pour leur épargner ensuite tous les déboires de santé bien identifiés qui découlent d’une activité physique insuffisante. Mais l’offre sportive proposée aux jeunes ne peut plus être conçue principalement sous la forme d’un entraînement plus ou moins exigeant à la compétition, même si le goût de l’exploit et du dépassement de ses limites reste répandu parmi eux. Des formes de pratique sportive moins élitistes, plus ludiques, conviviales et libres doivent être conçues à leur profit. Pour rendre la pratique sportive plus attractive, notamment pour les plus jeunes, le secteur sportif doit rester plus que jamais un champ ouvert à l’innovation technologique. Certains sports font depuis des années appel aux technologies de pointe, notamment en ce qui concerne les matériaux (tels la voile, le cyclisme, ou encore la Formule 1…). Mais dans le monde hyper-connecté de demain, le matériel sportif individuel comme les vêtements intégreront davantage de technologie et nous relieront à divers programmes, ce qui modifiera nécessairement notre manière de pratiquer le sport au quotidien, que ce soit dans une approche de santé, de loisir ou d’évolution en milieu naturel .
Le vieillissement de la population européenne nous oblige également à adapter l’offre d’activités et de loisirs physiques à une fraction croissante de nos concitoyens, en tenant compte de leur degré d’autonomie, de leur niveau de forme physique et de leurs besoins spécifiques, souvent très éloignés de la compétition. C’est un garant essentiel de préservation de la santé, de bien-être et de sociabilité.
D’une manière générale, le défi posé aux décideurs publics consiste plus que jamais à favoriser la pratique physique et sportive du plus grand nombre. Il s’agit, dans une optique de santé publique et de bien-être, de remédier aux inégalités en s’adressant prioritairement aux personnes les plus éloignées de toute pratique. Cette démarche volontariste, fondée sur la reconnaissance d’une forme de droit au sport pour chacun, implique d’identifier d’abord les freins d’ordre psychologique, social, physique ou financier qui sont à l’origine de la non pratique. Elle suppose ensuite l’élaboration de politiques publiques complexes, associant une grande diversité de partenaires, à l’instar de l’action « sport sur ordonnance » mise en place en France par la ville de Strasbourg.
Un engouement croissant pour les sports de nature
La conception des équipements sportifs doit aussi être repensée dans le sens d’une ouverture à des publics beaucoup plus divers que les seuls compétiteurs, et leur accessibilité accrue. Les aménagements urbains doivent faire une place encore plus large aux déplacements sécurisés sur un mode doux – vélo et marche à pied en particulier – , comme l’ont déjà compris de nombreuses municipalités sous toutes les latitudes en Europe, de façon à favoriser la dépense physique quotidienne tout en diminuant les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi en France, la ville de Biarritz a mis en place des parcours de santé innovants, les « Chemins de la forme », qui permettent de combiner le libre accès à des équipements urbains et la découverte du patrimoine local, tout en faisant appel aux nouvelles technologies de communication, avec pour effet de renforcer la motivation des participants et de toucher un public élargi. De même, le concept déjà éprouvé des « Parkours » urbains devrait pouvoir se décliner sur un mode accessible à tous.
De fait, une part croissante de la population vit en milieu urbanisé, ou dans des zones péri-urbaines plus ou moins denses. Cette évolution de fond explique l’engouement que connaissent les sports de nature sous toutes les formes, dont la pratique procure un véritable ressourcement physique et mental, en permettant aux pratiquants de s’immerger dans un environnement naturel qui leur fait défaut au quotidien. Les fabricants de matériel ou les professionnels du tourisme ne sauraient être les seuls à promouvoir ces sports, et les pouvoirs publics doivent accompagner davantage et parfois encadrer les pratiques de plein air, non dénuées de risques pour les pratiquants ou pour l’environnement, afin que le plus grand nombre puisse en profiter tout en réduisant aux mieux les incidences négatives. A cet égard, on note avec satisfaction qu’un réseau européen se structure et qu’une Charte a été adoptée, sur la base d’un socle commun de principes partagés et de bonnes pratiques à promouvoir.
Chacun admettra enfin que l’impératif environnemental doit plus que jamais être pris en compte dans la conception des politiques sportives en Europe, dans une perspective de développement durable. Cela s’applique bien entendu aux pratiques des sports de pleine nature, qui doivent respecter l’environnement dans lequel elles prennent place, ce qui suppose une sensibilisation voire une éducation des pratiquants sans cesse à poursuivre. Les exigences inhérentes à la transition énergétique s’appliquent aussi aux grands événements et rassemblements sportifs, qui doivent désormais être organisés selon des procédures strictes, inspirées notamment des lignes directrices de la Global reporting initiative (GRI) pour le développement durable élaborées sous l’égide de l’ONU et mises en œuvre lors des JO de Londres en 2012.
La conciliation de ces diverses exigences, les politiques d’ouverture à des publics éloignés de toute pratique physique ou sportive ne peuvent incomber au seul mouvement sportif, dont le fonctionnement repose largement sur l’engagement bénévole. La mobilisation des pouvoirs publics au sens large et des partenaires privés susceptibles d’être associés à ces grandes causes semble indispensable pour y parvenir. Chaque Etat membre, selon les modes d’organisation et les facteurs culturels qui lui sont propres, doit pouvoir intégrer dans sa politique ces orientations pour un sport plus innovant, plus ouvert et accessible au plus grand nombre. L’initiative locale, au plus près des citoyens, a également un rôle essentiel à jouer dans la mise au point de formules innovantes.
Mais on ne saurait également méconnaître le rôle de coordination, de soutien et de complément qui incombe à l’Union européenne, en vertu notamment de l’article 165 du traité FUE. On note avec satisfaction que le plan de travail de l’UE en faveur du sport 2014-2017, bien qu’empreint d’un certain formalisme, prend largement en compte ces orientations, qui sont de nature à améliorer la santé et le bien-être des citoyens européens, tout en inscrivant résolument les activités sportives dans les critères du développement durable. On ne peut également qu’approuver la décision de lancer en 2015 la Semaine européenne du sport, en espérant que les Etats membres et les parties prenante sauront s’approprier cette manifestation, pour en faire un test de formules innovantes et attractives ouvertes au plus grand nombre.