Les politiques sportives pénitentiaires, état des lieux et perspectives
Gaëlle Sempé, Maîtresse de Conférences en STAPS, Université Rennes 2, Membre du laboratoire VIPS2
Membre du comité scientifique du think tank Sport et Citoyenneté
Relativement récente, la mobilisation des pratiques sportives en milieu pénitentiaire évolue. Pensées à l’origine à des fins occupationnelles, elles prennent aujourd’hui des formes variées et s’inscrivent davantage dans une perspective de réinsertion sociale. Mais le manque de recul sur ces dispositifs et la persistance de certaines contraintes rendent encore difficile l’identification de leur impact sur les détenus.
À l’échelle de l’histoire du traitement pénal des personnes placées sous main de justice, les pratiques sportives ont été introduites relativement récemment dans les prisons européennes et d’emblée mobilisées sous l’angle à la fois disciplinaire et occupationnel, le plus souvent donc comme de véritables adjuvants de la peine d’enfermement. Jusqu’à la fin du XXe siècle, pratiquer une activité physique se résumait pour le détenu, au mieux, à faire son temps, au pire, à supporter l’insupportable (Courtine, 1980). En contrepartie, bien que justifiées selon une approche et une philosophie plus humanistes de la détention, la mise à disposition de ces activités revenait principalement pour l’administration pénitentiaire à rendre le détenu plus docile par corps (Foucault, 1975), donc à pacifier ses espaces de détention et à rationaliser leur gestion (Gallant et al. 2015). Une adhésion spontanée des détenus à ces pratiques récréatives, par ailleurs faiblement encadrées-dotées-structurées, suffisait à l’administration pénitentiaire pour conclure à leurs bienfaits auprès du public. Des bienfaits en certaines circonstances et pour quelques détenus avérés, mais néanmoins perçus comme très modestes et inégalement distribués dans la population, dès lors qu’on analyse finement et empiriquement les différents rapports sociaux et les processus de socialisation sportive en établissement. Le difficile accès des femmes à ces pratiques, principalement aménagées en conformité avec le modèle sportif historique dominant, androcentré et hétéronormé, en fournit une démonstration. Loin d’être inclusives[1], les pratiques sportives, destinées majoritairement à des détenus hommes, faiblement dotés en capital culturel, notamment sportif, étaient réduites à une forme et à des usages des plus sommaires, au dépens donc des visées éducatives initialement formulées dans les premiers textes officiels[2] : une séance hebdomadaire en moyenne ; dans des espaces sportifs bricolés de la détention ; à partir de disciplines sportives peu diversifiées, traditionnellement identifiées comme masculines et renvoyant à un idéal corporel populaire (football et musculation) ; sous la supervision d’un surveillant (dans le meilleur des cas formé comme moniteur de sport par l’administration pénitentiaire).
« Des pratiques peu inclusives »
Depuis presque deux décennies, un tournant s’est opéré dans la politique sportive en faveur d’une progressive prise de conscience des difficultés à mobiliser, sous cette forme, le sport comme un véritable outil de réinsertion des détenus et comme un moyen d’individualisation de leur peine. Par un conventionnement avec les fédérations sportives invitant les acteurs du sport extérieurs à intervenir en prison[3], par la diversification, la multiplication et l’ouverture des approches-disciplines-projets sportifs, par la rénovation ou la construction d’espaces sportifs consacrés dans les établissements, l’administration pénitentiaire semble donner une nouvelle direction au développement du sport. L’espace des pratiques sportives (Sempé, 2016) se structure, se complexifie et se diversifie désormais dans l’articulation de deux orientations majeures : la vision du sport et la vision de la peine. Les différentes actions proposées s’échelonnent entre d’un côté une logique de loisir/occupationnelle/supervisée et une logique de performance/structurée/encadrée, et d’un autre côté entre une logique de fermeture centrée sur la gestion de la détention et une logique d’ouverture orientée vers la préparation à la réinsertion. Les projets-programmes socio-sportifs se multiplient à destination d’un public dont on entrevoit peu à peu, outre sa criminalité, une vulnérabilité, voire une désaffiliation sociale[4], et des besoins spécifiques liés tant à sa condition sociale qu’à sa santé.
« Vision du sport, vision de la peine »
Pour autant, malgré cette inflexion des politiques sportives pénitentiaires en faveur des pratiques sportives à vocation éducative et sociale, les travaux de sociologie appellent à une certaine prudence. D’abord tou.te.s les détenu.e.s n’accèdent pas à ces programmes socio-sportifs. Ensuite la faible épaisseur historique, la diversité et la logique bottom-up de ces dispositifs complexifient l’identification et la pérennisation d’éventuels impacts sociaux positifs sur les trajectoires et les situations des détenus. Enfin, les réalités et les contraintes à la fois matérielles, humaines, politiques des conditions carcérales conduisent de nombreux établissements à maintenir le modèle historique dominant de pratique sportive en prison. Modèle, dont il a été démontré scientifiquement une issue très incertaine en matière de réinsertion.
Bibliographie :
CASTEL, R., (1995), Les Métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard.
COURTINE, F., (1980), La sportification pénitentiaire : de la « roue au ballon… prisonnier », Thèse de Doctorat, UER de sociologie, Université de Paris VII.
GALLANT, D., SHERRY, E., NICHOLSON, M., (2015), Recreation or rehabilitation ? Managing sport for development programs with prison populations, Sport Management Review, Volume 18, Issue 1, February 2015, P. 45-56.
LASCOUMES, P., (2006), Ruptures politiques et politiques pénitentiaires, analyse comparative des dynamiques de changement institutionnel, Déviance et Société, vol. 30(3), 405-419.
LEGUEDEY, M., (2004), Sport en prison, signature de conventions, Administration pénitentiaire/Fédérations sportives.
SEMPE, G. (2016) Sports et Prison en Europe, Strasbourg, Editions du Conseil de l’Europe.
[1] Mobilisée initialement dans le champ de l’éducation scolaire en lien avec la question du handicap à l’école, puis étendue à d’autres secteurs de la prise en charge éducative, la notion d’inclusion traduit un véritable changement de paradigme dans la prise en charge éducative. Elle suppose, contrairement à l’intégration entendue au sens de Durkheim, une capacité d’adaptation des institutions aux particularités des individus, et non l’inverse. Les institutions éducatives poursuivant cette démarche sont dès lors susceptibles d’introspection et soucieuses de l’évaluation de leurs actions. Or les systèmes pénitentiaires sont de ces institutions « orphelines » dont la littérature scientifique a depuis longtemps dénoncé un immobilisme (Lascoumes, 2006) y compris face aux critiques les plus vives et répétées qui lui ont été adressées depuis près de cinq décennies (Foucault, 1975).
[2] Instructions Générales de l’administration pénitentiaire 154 du 01/10/1958 sur la pratique de l’éducation physique et du sport dans les établissements pénitentiaires
[3] Convention du 16 janvier 2004 entre l’administration pénitentiaire et 14 fédérations sportives
[4] Caractérisée selon Castel (1995) par un double processus de décrochage social dans le rapport à l’emploi et aux liens relationnels.