Le sport pour l’inclusion sociale des précaires : de quoi parle-t-on ?
François Le Yondre, Maître de Conférences en STAPS, Chercheur en sociologie du sport, Université de Rennes 2. Membre du laboratoire VIPS2
Membre du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté
Les usages du sport pour l’accompagnement des personnes en situation de précarité se multiplient en France et dans l’ensemble de l’Europe.
Ce mouvement de diffusion s’accompagne également d’une diversification qui s’observe à la fois sur le plan des publics auxquels les programmes se destinent et sur le plan des approches politiques et professionnelles. Il est utile par conséquent de sonder cette diversité afin de comprendre à quelles réalités concrètes renvoie la vague notion d’inclusion sociale par le sport.
En premier lieu, l’usage du terme « précarité » présente l’intérêt de dépasser les catégories institutionnelles qui séparent les publics selon les problématiques par lesquelles ils sont identifiés. En France, un bon nombre de programmes sont mis en œuvre auprès de structures sociales telles que les maisons relais, les Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) ou encore les Centres d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA). Dans la configuration la plus récurrente, la conception et la mise en œuvre de ces programmes sont assurées par des associations sportives à vocation sociale voire des fédérations affinitaires (ou multisports) et les financements proviennent des services déconcentrés de l’État, compétents en matière de sport et de cohésion sociale. Cette chaîne d’acteurs est loin de se reproduire de manière systématique et bien d’autres acteurs sont à l’initiative dans d’autres configurations. Mais les publics de ces structures sociales restent incontestablement les plus visés.
« Une précarité sociale et économique »
Qui sont-ils ? Le premier trait commun de ces personnes est d’être insuffisamment autonomes pour vivre sans accompagnement institutionnel. Au-delà de ça, les situations sont très variables et croisent bien souvent de multiples problématiques à la frontière du sanitaire et du social. Ainsi, les personnes précaires auxquelles sont proposés des programmes d’inclusion par le sport éprouvent des difficultés fort variables, allant de difficultés dans le rapport à autrui, un manque d’estime de soi handicapant, une addiction (alcool, jeux, stupéfiants), de faibles compétences linguistiques ou encore divers types de troubles psychologiques. Si la faiblesse des ressources économiques est la seconde caractéristique commune, elle est généralement l’effet des difficultés mentionnées plus haut. La précarité est donc à la fois sociale et – de manière conséquente – économique. Toutefois les récits de vie montrent également à quel point les situations économiques difficiles qui se prolongent affectent les personnes dans leur santé et leurs dispositions à mener une vie autonome. Les problématiques rencontrées (sanitaires, économiques, sociales) se renforcent donc réciproquement au cours de trajectoires où les limites conjoncturelles s’installent plus durablement. Ces situations de faible autonomie cadrent par ailleurs avec le sens étymologique du terme (precarius désignant ce qui s’obtient avec prière) dans la mesure où ces personnes sont dans une relative dépendance à l’institution et aux travailleurs sociaux qui les accompagnent.
« Étudier les effets produits par les pratiques sportives »
La prise en charge des demandeurs d’asile répond évidemment à des situations bien différentes et la précarité dans laquelle ils se trouvent est principalement liée à l’incertitude du dossier administratif en cours. Mais c’est probablement à cette situation que s’applique le mieux le sens étymologique du mot « précarité ».
L’intérêt du sport pour ce public hétérogène dépend à l’évidence des situations individuelles. Ainsi peut-on rencontrer autant d’objectifs que de besoins singuliers. Il est toutefois possible de schématiser les usages du sport par les acteurs de terrain. Nous distinguons trois types de statut conféré au sport. Le premier est celui d’une finalité propre. Les professionnels n’y envisagent pas le sport à travers son utilité mais simplement pour ce qu’il est, soit une activité culturelle qu’il s’agit de rendre accessible aux plus faibles. Le deuxième statut est celui d’outil de captation et consiste à s’appuyer sur le caractère attractif du sport pour engager une relation favorable à un accompagnement social plus profond. Cette option est souvent prise auprès des adolescents et jeunes adultes. Enfin la troisième voie est la plus fréquente et consiste à faire du sport un outil de transformation de l’individu ou de sa situation. Ainsi, les professionnels envisagent de reconstruire l’estime de soi, de lutter contre une dépendance ou encore de reconstruire l’employabilité grâce aux situations motrices et interactives engagées par l’activité sportive.
L’inclusion sociale par le sport renvoie donc à des réalités pratiques fortement contrastées du point de vue des publics visés comme des démarches entreprises par les professionnels. Ces derniers développent des programmes à partir de convictions et tentent bien souvent de réguler leurs approches au fur et à mesure de la pratique. Mais, à l’heure actuelle, ils ne disposent pas d’un savoir établi sur les conditions de pratique opportunes susceptibles de produire les effets qu’ils escomptent. Disons-le, ce savoir n’existe pas en sociologie car les chercheurs se sont principalement évertués à déconstruire des croyances inhérentes aux vertus du sport. Ce travail fut nécessaire et l’est encore. Mais il ouvre désormais la voie à un travail sur les effets produits par les pratiques sportives. Pour cela, il convient selon nous que soient permises les approches longitudinales et qualitatives permettant de comprendre la place que le sport peut avoir sur le temps long.
L’actualité au prisme de la recherche : article en partenariat avec le Laboratoire « Violences, Innovations, Politiques Socialisations et Sports » de l’Université de Rennes 2