« Délier les langues et enrichir nos pratiques professionnelles »
C’est auprès des directions interrégionales de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) que le projet conduit par Colosse aux pieds d’argile s’est déployé. Chargés d’accompagner, d’éduquer et de favoriser l’insertion des mineurs en difficultés, les services de la PJJ ont accueilli les séances de sensibilisation et de formation proposées. Entretien avec Caroline Nisand, Directrice nationale de la PJJ.
Quelles sont les missions de la PJJ ?
La PJJ a pour cœur de mission l’action éducative dans le cadre pénal. Il s’agit de protéger, d’éduquer et d’insérer les mineurs en conflit avec la loi pour lutter efficacement contre la récidive. La PJJ est chargée de l’ensemble des questions intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre. Elle propose son expertise éducative au juge des enfants et exécute ses décisions. Elle assure la prise en charge des mineurs qui lui sont confiés dans ses établissements publics et ceux du secteur associatif habilité (SAH), dont elle assure le contrôle.
Elle dispose d’une large palette de solutions pour répondre aux besoins des adolescents, souvent en grande difficulté. Il s’agit de donner l’occasion à ces jeunes, dont certains sont en rupture à la fois familiale, sociale et scolaire, d’éprouver qu’un cadre strict est à la fois une protection et un marchepied vers un futur meilleur. Des actions d’éducation, d’insertion sociale et professionnelle sont menées et le sport en fait partie intégrante. La thématique d’intervention portée par Colosse aux pieds d’argile, à savoir les violences sexuelles, est délicate à appréhender, d’autant plus avec des jeunes qui peuvent en être victimes ou auteurs. La pédagogie du détour, bien connue de la PJJ, et utilisée par le prisme du rugby, m’a semblé pertinente. Le volet formatif, l’expérience de l’association et la force du projet encadré par le consortium sont très convaincants et c’est donc naturellement que la PJJ a décidé d’y prendre part.
Ce projet a impliqué plusieurs directions interrégionales (DIR). Quels sont leurs retours d’expériences ?
L’expérimentation a été conduite dans cinq DIR. La question des violences sexuelles n’est jamais simple à aborder. Les professionnels de terrain ont besoin d’outils et d’intermédiaires pour faciliter l’abord de ces questions. Les retours sont très encourageants. Sur la formation, les professionnels soulignent que l’intervention a enrichi leurs pratiques pour instaurer un climat de confiance avec les jeunes et aider à libérer la parole. Ils ont accueilli les journées de sensibilisation avec beaucoup de sérieux et d’implication. Utiliser la pratique du rugby comme prétexte a permis de délier les langues et d’aborder les problématiques cibles avec un certain décalage. Plusieurs DIR ont marqué leur volonté de reconduire des actions avec l’association, ce qui démontre l’intérêt et la force du projet.
En quoi ce projet peut-il être utile à vos services ?
La PJJ est confrontée quotidiennement à la réalité des violences sexuelles ou des actes de bizutages, que ce soit dans le cadre familial, scolaire ou dans le celui du sport.
Au-delà de la réponse pénale, l’institution doit être au cœur de la prise en compte de cette problématique, en soutenant des actions de prévention et de sensibilisation. Ce travail collaboratif répond à un besoin repéré pour endiguer un phénomène qui n’est pas nouveau dans les faits mais récent dans sa prise en compte. En croisant et en forgeant nos pratiques avec nos partenaires, nous outillons nos professionnels et maximisons nos chances d’avoir un impact bénéfique sur les jeunes dans le cadre de leur prise en charge.
« Une pédagogie du détour par le prisme du rugby »
Le sport est-il un outil de médiation pour la PJJ ?
Les activités physiques et sportives (APS) sont utilisées au quotidien par nos services. Parfois exutoires ou occupationnelles, mais toujours utilisées dans un but pédagogique, les APS font partie intégrante du travail éducatif en tant que pédagogie du détour. Qu’il s’agisse de la construction de liens avec le personnel éducatif, du développement des compétences psychosociales, de l’apprentissage des règles et du vivre ensemble, le sport peut toucher chaque jeune et lui offrir des perspectives dans la construction de son parcours. Il présente aussi pour la PJJ des opportunités intéressantes en matière d’insertion professionnelle (métiers de l’encadrement et de l’animation, vente/distribution, évènementiel…).
Ces dimensions sont d’ailleurs largement reconnues. Les ministères des sports et de la justice travaillent de concert depuis 1986 à la promotion des APS pour les personnes placées sous main de justice, au travers d’un
protocole d’accord régulièrement renouvelé, adapté et porté par ces deux administrations.
Chaque année, le challenge Michelet réunit plus de 300 jeunes autour d’épreuves sportives. Quelle est sa portée ?
C’est l’un des dispositifs propres à la PJJ, né de la créativité et de l’ambition d’acteurs de la justice des mineurs. C’est un
rendez-vous annuel pour de nombreux jeunes et professionnels de la PJJ, qui vient valider un cycle, confirmer le travail éducatif mené tout au long de l’année et valoriser l’évolution du jeune.
La performance sportive n’est nullement recherchée, même si des talents sont repérés chaque année. Le challenge permet de travailler les notions de respect des règles de vie et des autres, d’acceptation des différences, de tolérance, de solidarité et de vivre ensemble. De réfléchir aux actes commis, au comportement en général, des éléments indispensables pour construire leur individualité et trouver leur place dans la société. Le vrai challenge pour les jeunes, c’est de vivre pleinement ce projet jusqu’à son terme, de s’ouvrir aux autres et de se découvrir soi-même.
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